Bir Hakeim
Bir Hakeim
Au fil de l’histoire militaire, François Broche passe de l’universel au particulier. Après la magistrale trilogie par laquelle il décrivit, en ouverture du présent siècle, les tribulations de l’armée française durant la Seconde Guerre mondiale, il braque cette fois sa loupe sur Bir Hakeim (qui n’est pas seulement une station de métro ou un pont sur la Seine). Après une utile présentation du théâtre et des allers et retours qui ont caractérisé la campagne nord-africaine des années 1940-1942, il conte ce mémorable épisode en cinq actes, la relation de chacun étant divisée en quelques brefs épisodes.
La Brigade des Français libres (BFL) du général Kœnig est aux ordres de chefs intrépides dont les noms sont restés célèbres (tel ce « Messmerus simplex… au calme légendaire »), un ensemble hétérogène et héroïque d’hommes venant des quatre coins du monde, ayant pour la plupart déjà combattu à droite ou à gauche et rêvant de continuer à en découdre. Rien ne peut mieux les décrire que la photo en encart d’un groupe de Calédoniens hilares, gouailleurs et dépenaillés. « Étonnante synthèse », en effet !
Le terrain, plutôt sinistre, est sec, nu et caillouteux. Un brouillard inattendu y règne fréquemment entre la nuit froide et la chaleur accablante du jour où la soif tenaille. Le lecteur logisticien relèvera que l’indispensable ravitaillement en eau et en munitions se déroule dans des conditions précaires ; le lecteur tacticien retiendra l’enfouissement général des hommes et des matériels ainsi que la pose de quelque 100 000 mines transformant ce coin de désert en forteresse contre laquelle les tentatives ennemies laissent des plumes sous le feu des légers mais efficaces canons antichars et antiaériens. Arrive, sur ordre supérieur, la nuit hallucinante de la « sortie » par une brèche étroite, dans des conditions telles qu’une fois données les instructions de départ, l’exécution est et ne peut être qu’« un ensemble d’aventures individuelles ». « Victoire défensive », après laquelle l’Afrika Korps peut pénétrer dans le vide d’une position « évacuée, mais non rendue ».
Surtout ne pas négliger les annexes, quelque peu iconoclastes. Pourquoi s’est-on acharné de part et d’autre à conserver ou à conquérir un terrain ne présentant « aucun intérêt stratégique » ? Certes, un coup d’œil sur la carte laisserait à penser que Bir Hakeim constituait le pilier sud d’un dispositif que l’adversaire aurait tendance à faire sauter pour contourner la défense britannique. Il semble surtout que Rommel se soit obstiné contre cette agaçante « épine » et ait ainsi perdu inutilement du temps et du potentiel à un moment, le printemps 1942, où basculait partout la fortune des armes. Du côté de De Gaulle et du mouvement des Français Libres, la valeur symbolique est, à la hauteur de la vertu des défenseurs, dûment exploitée. De mauvaises langues ont mis en cause ultérieurement l’attitude d’un futur maréchal de France lors de l’évacuation, alors que les mérites du chef sont mis en avant tout au long de l’ouvrage. Comme d’habitude, cherchez la femme ! (elle est au volant).
Père de l’auteur, le lieutenant-colonel Félix Broche est tombé à Bir Hakeim à la tête du bataillon du Pacifique. Son fils a eu l’élégance de ne pas profiter de l’occasion pour mettre en avant le personnage. Cette discrétion vaut un coup de chapeau. ♦