Le général d’armée aérienne (2S) Bernard Norlain, président du Comité d’études de défense nationale (CEDN), directeur de la revue Défense nationale et sécurité collective a remis, le 27 novembre 2008, le « Prix Amiral Marcel Duval » récompensant le meilleur article paru dans la revue Défense nationale et sécurité collective. Le jury, présidé par le général d’armée (2S) Christian Quesnot, président d’honneur du CEDN, a attribué à l’unanimité le prix à M. René Cagnat pour ses articles « La galère afghane (I) : état des lieux » (mai 2007) et « La galère afghane (II) : que faire ? » (juin 2007). Le fonds « Amiral Marcel Duval » est géré par Mme Waquet-Rouge de la Fondation de France. Voici son discours de remerciement.
Prix Amiral Marcel Duval 2008 - Une bouteille à la mer
Tout article de presse est une bouteille à la mer. Et voici que celle que j’avais lancée, voici dix-sept mois, à propos de l’Afghanistan me revient grâce à vous – et je vous en remercie – sur la rive de la Seine, presque aux antipodes de la guerre afghane. Avec en particulier l’extension du désordre au Pakistan et peut-être même à l’Inde, les choses ont bien évolué au cours de ces dix-sept mois, et fort dangereusement. Aussi ai-je ressenti le besoin de vous lancer aujourd’hui une deuxième bouteille.
Jusqu’en 2001, j’étais donc bien au calme en Asie centrale. J’y prêchais sans état d’âme dans le désert des Tartares où je m’étais retiré : j’y faisais de l’art pour l’art ! Or, voici que le 25 décembre 2001, j’ai été rejoint – ô surprise ! – par nos « p’tits gars » : aussi bien à Douchanbé qu’à Bichkek, et ils y sont encore. J’ai perçu tout de suite l’inexpérience – bien pardonnable ! – du commandement français en Asie centrale et j’ai ressenti dès lors la nécessité de lui être utile en exprimant ma petite expérience locale ; ce que j’ai fait à plusieurs reprises dans Le Figaro et la revue Défense nationale et sécurité collective que je remercie pour leur aide.
Je ne suis pas un spécialiste de l’Afghanistan ; mais, par l’histoire et la géographie, je tourne autour de ce pays depuis quarante ans. J’ai pénétré plusieurs fois à sa périphérie avant de séjourner, début 2007, en son cœur à Kaboul. Dans cette triste capitale je me suis ancré dans l’idée que l’Otan fait fausse route. Notre seule guerre là-bas, à nous Européens, est la guerre contre la drogue : or c’est la seule que nous n’avons pas menée… La ruineuse contre-guérilla qui nous incombe de plus en plus n’est pas notre guerre. Elle devrait être celle des voisins plus ou moins proches de l’Afghanistan : Pakistanais, Iraniens, Chinois, Indiens et, bien entendu, Russes. Mettons-les au pied du mur en nous retirant pendant qu’il est encore temps, c’est-à-dire alors que les taliban n’ont pas encore de missiles antiaériens modernes. La guerre en Afghanistan est la guerre de l’Organisation de coopération de Shanghai : pas la nôtre !
Évitons pourtant de donner, à nouveau, l’impression à nos frères russes, comme nous l’avons tant fait ces dernières années, que nous ne sommes pas embarqués sur le même bateau. Nous devons donc les aider à lutter contre la drogue qui les concerne encore plus que nous et contre laquelle ils sont en première ligne. Nous pouvons participer à cette lutte à partir de l’Asie centrale ex-soviétique, voire à partir du nord de l’Afghanistan : de là, et de là seulement, on peut encore détruire le pavot afghan. De cette façon, on aura porté un coup sérieux au terrorisme en le privant de son financement tout en restaurant la confiance entre l’Europe et la Russie, ce qui devrait constituer la priorité des priorités en politique. Mais il faudra faire vite, très vite : nous disposons de trois à quatre ans seulement avant que l’Asie centrale ne soit à son tour pourrie par les mafias de la drogue.
En conclusion, permettez-moi de rappeler que notre présence à nous Français en Afghanistan a toujours été affaire de culture : celle du lycée français de Kaboul, celle de nos archéologues, celle des Cavaliers de Kessel. Et voici qu’aujourd’hui notre prix Goncourt revient – ô combien brillamment – à un Afghan. Ne gâchons pas là-bas cette superbe victoire intellectuelle par une aventure militaire qui nous coûte de plus en plus cher en devises, en matériel comme en hommes ! Merci pour votre attention ! Je confie cette bouteille à la mer et à vos bons soins. ♦