Les Guerres modernes racontées aux civils… et aux militaires
Bien qu’il soit journaliste (oh !), Pierre Servent a tout pour nous plaire. C’est un homme de terrain et aucun théâtre d’opérations ne lui est étranger : Golfe, Liban, Afghanistan, Balkans, Côte d’Ivoire, il a tout « couvert », et il y a servi comme officier de réserve. Son expérience est telle qu’il dirige un séminaire au Collège interarmées de défense. Au reste vous le connaissez tous, ayant pu admirer à maintes reprises, sur le plateau d’Yves Calvi, son aisance, sa compétence, la sérénité de ses jugements. Pas de meilleur guide pour visiter les « guerres modernes », ainsi que l’on dit faute d’un meilleur mot.
Deux parties, pour l’essentiel, divisent le livre : la guerre décrite, la guerre vécue. De la description, on retiendra l’opposition caricaturale qui sépare les deux protagonistes, l’Occidental (ou le Français), bien clair et bien connu, l’autre (musulman le plus souvent), insaisissable dans les deux sens du terme. Asymétrie est le mot malsonnant qui caractérise ces affrontements désaccordés. Le désaccord est partout. Le terroriste, légitime défenseur prétend-il, s’autorise les méthodes les plus atroces ; l’intrus que nous sommes « maîtrise sa force ». L’un recherche la mort, elle fait scandale chez l’autre. L’opinion publique n’existe pas chez l’un, elle exerce chez nous sa dictature. Le rebelle a tout son temps, nous sommes toujours pressés. Les horreurs commises par le terroriste ne discréditent guère leur auteur, la maladresse de l’autre, bavure dit-on, lui est imputée à crime.
Dans l’asymétrie, la faiblesse devient force. À Mogadiscio, les femmes et les enfants couvrent de leurs corps innocents les snippers somaliens. Le hezbollah libanais, durant la campagne israélienne de l’été 2006, paraît plus vertueux que d’autres partis ? Des commandos de pleureuses, exploitant les bombardements de Tsahal, sont déplacés d’une ruine à l’autre, toujours prêts à pleurer devant les caméras. La ville, champ de bataille nouveau, complique encore la tâche du régulier, américain à Falloujah, israélien à Bint-Jbeil, français à Abidjan, russe à Groznyï, et c’est à grand mérite que l’armée libanaise est venue à bout, à Nahr-el-Bared, des irréductibles du Fatah al-islam.
Comprendre suffit-il à vaincre ? C’est ce qu’espérait « King David », alias Petraeus, cherchant en Irak à gagner les cœurs, entouré d’un conseil d’anthropologues. Mais la guerre, comprise ou pas, il faut la vivre, ce qui signifie se colleter avec la mort, joie pour l’un, douleur pour l’autre. L’éthique militaire, de longue date, vise à discipliner la bête ; les sales guerres que l’on mène mettent à mal ces jolies manières et, dans le feu de l’action ou sous le coup de la colère, « la minute barbare » libère la brute originelle. À l’inverse, le soldat d’aujourd’hui n’a plus honte d’avoir peur et, de retour au pays, le voici reconnu névropathe. Confronté à des situations d’une horreur absolue, il est sous la surveillance des juristes. Portable aidant, tout se vit dans l’instant et l’on a vu à Uzbin un para sous les balles transmettre à sa famille ses dernières volontés. « À l’arrière », on ne veut plus de guerriers et le militaire ne se supporte que comme « Mère Teresa en treillis ».
Ne croyez pas pourtant que Pierre Servent mésestime notre armée, encore que son sous-titre pourrait le laisser penser. Il a beaucoup de sympathie pour elle, ayant partagé ses épreuves. On le voit même optimiste sur l’issue de nos engagements. Il est vrai qu’il met à la victoire une condition : donner du sens à nos combats. Le lecteur attentif relèvera, au dernier paragraphe du livre, une allusion, discrète, à la spiritualité qui devrait inspirer nos démocraties. Hélas ! le bien n’est pas directement opérationnel, c’est ce qui le distingue du mal. ♦