Lieutenante, être femme dans l'armée française
La photo de couverture vous prévient : la « lieutenante », bien mignonne, a le regard noir. Si vous aimez l’armée, la Marine et la femme, elle vous fera détester les trois. C’est que Marine Baron n’a pas eu de chance. Mariée-divorcée toute jeune, haïe de sa mère, ignorée par son père, elle espérait, s’engageant dans la Marine, trouver « une nouvelle famille ». La voici à Lorient, à l’École des fusiliers-marins et mêlée à des commandos Marine peu disposés à accueillir des femmes dans leur casernement.
Ceci eût pu se supporter, n’eût été le comportement odieux des cadres de l’unité, dont bêtise et grossièreté le disputent à la méchanceté. Le commandant L (1) accable l’aspirant de sa hargne, le lieutenant B est « trop con » et cet autre, D, « semble être saoul en permanence : ça fait peur quand on sait qu’il s’occupe de gérer les stocks d’armes et de munitions ». Les toubibs mêmes sont « comme les autres, ils font des blagues putrides, ils racontent des trucs immondes ». Faisant « ses classes » à l’École navale, elle ne tombe pas mieux. « Salut les naaaazes », lance en bienvenue le premier-maître P. Mais quoi ! on n’y peut rien. Comme ils le font du lapin, porte-malheur officiel, les marins se méfient de la femme au point d’en faire la miss, « poupée sage et soyeuse qu’on peut chiffonner dans une main ».
Écœurée de la Marine – on la comprend – la pauvre n’en poursuit pas moins son rêve et passe avec succès le concours qui l’amène à Saint-Cyr, plus exactement à l’école du Corps technique et administratif. La guigne suit, c’est Scylla après Charybde, Scylla étant à Coëtquidan. La soirée d’accueil est « glauque » et son chef de section, le capitaine F, « ressemble trait pour trait au flic qui bat sa femme et qui adhère au Ku Klux Klan dans le film d’Alan Parker, Mississippi Burning ». Ici ne sont « qu’adjudants rouges et bedonnants, officiers éternellement subalternes et laborieux, asservis par la patience et l’ennui ». Conclusion logique et courageuse : après deux ans de malheurs, Marine Baron démissionne en fanfare : « Je crache à la gueule de vos codes qui ne veulent rien dire et qui ne cachent rien d’autre que votre stupidité ».
Cherchant bien, vous trouverez une petite trouée de bleu dans cette noirceur : « Ici, tu sais, il y a quand même des types bien ». Merci, Marine ! ♦
(1) L’auteure donne en toutes lettres les noms des militaires mis en scène, sans dire si elle les a travestis. Aussi ne mentionnons-nous ici que les initiales.