Histoire de la Géorgie
Le livre de pierre Razoux, Histoire de la Géorgie, conjugue sous un même volume, une leçon d’histoire sur un pays et sa région avec un cas d’école de géopolitique appliquée à l’intention des apprentis sorciers. Fussent-ils issus des meilleures universités américaines.
Commençons par la première leçon. Appuyée sur la géographie, elle plante le décor ancestral des événements récents. C’est une mosaïque d’ethnies, dont les Abkhazes et les Ossètes, accumulées au fil des siècles aux grés du peuplement progressif des massifs caucasiens. la Géorgie est un pays isolé entre le grand Caucase, la mer Noire et la mer Caspienne. Peuplée de rudes montagnards, l’esprit clanique prévaut. Seconde nation christianisée après l’Arménie, elle est prise peu à peu dans l’étau turco persan. De guerre lasse face à un Occident sourd à ses appels, elle se réfugie dans les bras de Catherine II. Laquelle, toute à sa conquête des mers chaudes, a tôt fait d’étouffer les velléités d’indépendance de ce remuant jeune protégé. Le 23 juillet 1783 le traité de Georgievsk place l’essentiel des royaumes géorgiens sous protectorat russe. Prélude à la conclusion d’une longue et difficile pacification du Caucase par la Russie tsariste.
La révolution des soviets de 1917 permet l’instauration d’une république géorgienne. Deux rejetons locaux particulièrement doués, « Sosso » autrement dit Staline et lavrentis Beria, liquident brutalement l’éphémère république. Sa classe politique s’empresse de prendre le chemin de l’exil, pour certains sur un navire français. Après soixante-dix années de régime soviétique au sein duquel la Géorgie ne fut pas la plus mal lotie, Gorbatchev met au pouvoir un ancien apparatchik Édouard Chévardnadzé. Suit une période de relatif essor économique. Cependant, la logique clanique l’emporte à nouveau sur la logique d’État. La guerre civile entre ethnies, dont principalement les Abkhazes et les Ossètes, se déchaîne. Avec son cortège de bandes mafieuses, de concussion généralisée et de meurtres en tous genres. Bien que conscient que seul le « grand frère russe » détient la solution aux conflits qui ensanglantent le pays, Chévardnadzé entame avec l’Administration Clinton un rapprochement vers les États-Unis et l’Otan. Par ailleurs Russes et Occidentaux surveillent comme le lait sur le feu les oléoducs qui traversent le pays, débouchés des champs pétrolifères d’excellente qualité de la Caspienne et dont Washington et Londres sont devenus les maîtres du mécano industriel.
2003 la « révolution des roses ». Elle est largement appuyée et relayée par les médias, plus que par l’Administration américaine. Elle met à la tête de l’État Mikhaïl Saakachvili. Formé à Kiev, aux États-Unis et passé par Strasbourg, c’est un gros travailleur qui a la réputation d’un homme arrogant, populiste et impulsif. Après des succès incontestables sur le plan intérieur et des maladresses à l’égard de Moscou qu’un éventuel rapprochement avec l’Otan exaspère, son deuxième mandat en 2007 s’ouvre dans un climat détestable. Il allie autoritarisme sur le plan intérieur et nationalisme virulent aux dépens des Russes sur le plan international. Remettre au pas les provinces sécessionnistes (Ossétie du Sud et Abkhazie) devient l’alpha et l’oméga du régime qui par ailleurs vise ouvertement l’intégration du pays à l’Otan. Ignorant les leçons de l’histoire et la loi d’airain qui règlent les rapports de forces entre les États, jouant les apprentis sorciers, prenant ses désirs pour la réalité et confondant « le grand jeu » avec une partie de bonneteau, Mikhaïl Saakachvili n’hésite pas à recourir à la force pour mettre au pas ses provinces sécessionnistes. Nous laisserons au lecteur le soin de dévorer les pages édifiantes qui détaillent par le menu l’histoire d’un désastre annoncé. Le piège tendu par une Russie stupidement défiée dans ses intérêts majeurs. La dérobade prudente des démocraties occidentales. L’utilisation cynique d’une petite armée engagée, contre l’avis de la majorité de ses généraux, dans des combinaisons pseudo géopolitiques sans rapport avec l’état des forces. Et la raclée d’anthologie qui s’est ensuivie. Désastre heureusement limité par les efforts de la communauté internationale, la présidence européenne en particulier. Ces efforts n’ont pas empêché Moscou de reconnaître unilatéralement l’indépendance des provinces d’Abkhasie et d’Ossétie du Sud. Signant ainsi son succès, peut-être mesuré, mais en tous les cas total.
On lira avec profit le livre de Pierre Razoux ne serait-ce qu’en antidote réaliste du prêchi-prêcha irénique des commentaires hexagonaux de l’époque, presse et personnel politique réunis dans un même élan de charité humaniste et distante. ♦