L'Allié indocile - La France et l'Otan, de la guerre froide à l'Afghanistan
Pierre Lellouche, homme politique au cursus impressionnant puisqu’il est aujourd’hui secrétaire d’État aux affaires européennes, est avant tout un spécialiste reconnu des relations internationales et dont les avis – souvent tranchés – sont pertinents, toujours argumentés et bien construits. À l’occasion du 60e anniversaire de l’Otan et du sommet organisé à cette occasion à Strasbourg-Kehl, il propose un livre passionnant sur les relations complexes entre la France et l’Alliance et donc indirectement sur le couple passionnel Paris-Washington.
Certes, Pierre Lellouche a toujours affirmé et revendiqué une approche atlantiste et le retour annoncé, confirmé et amorcé de la France dans la structure militaire de l’Otan ne peut que le satisfaire. Il faut cependant souligner que le ton de son ouvrage est très nuancé et ne constitue pas un panégyrique inconditionnel de cette institution, qui est aujourd’hui confrontée à une épreuve quasi existentielle avec la guerre en Afghanistan.
Par une approche historique solide et convaincante, il souligne combien le lien entre la France et l’Otan a toujours été compliqué en raison de la question centrale du leadership américain et de la place plus ou moins importante accordée à Paris depuis la création de l’Alliance. De plus, Paris reste marqué aux yeux des Américains par le « péché originel » de la défaite de juin 1940.
Cette marginalisation de la France a été une constante dès les premières années alors que le mécanisme des relations internationales privilégiait, pour le bloc occidental, le mode de pensée anglo-américain et le modèle militaire imposé par le Pentagone.
Contrairement à d’autres experts, Pierre Lellouche écorne l’impact du retrait français en 1966 de la structure militaire, mythe fondateur de la politique étrangère de Paris depuis plus de quarante ans. Certes, la décision du général de Gaulle a été politiquement brutale avec des conséquences spectaculaires, comme le retrait des unités américaines et canadiennes du territoire français ou encore le déménagement des grands commandements de l’Alliance au bénéfice de la Belgique. Car, selon la lecture de Pierre Lellouche, la France et ce, dès 1967, a continué à travailler avec l’Otan : tous les successeurs du Général ont maintenu les liens et la cohésion du bloc occidental face à la menace soviétique.
En parallèle, s’est posée à partir des années 1980 la question du projet européen dans sa dimension de politique étrangère. C’est avec le président Mitterrand que Paris s’est engagé dans la construction d’une identité européenne de défense autonome par rapport à l’Otan et qui est aujourd’hui loin d’être achevée. D’une approche plutôt concurrentielle – celle du président Mitterrand – on est passé à une relation davantage complémentaire mais de plus en plus déséquilibrée. Les outils militaires censés donner une réelle capacité militaire à l’Europe sont restés limités ou ne sont guère utilisés à l’image du corps européen de Strasbourg ou des battle group 1500 jamais déployés. De fait, l’Otan conçue pour contrer la menace soviétique, a su retrouver une légitimité et des objectifs concrets avec la dislocation de l’ex-Yougoslavie. Pierre Lellouche rappelle ici que le président Chirac avait voulu réintégrer la structure militaire en 1995-1997, mais que ce processus avait échoué – une fois de plus – sur la question de la répartition des responsabilités et des commandements. La France revendiquait pour l’Europe notamment Naples et la Méditerranée compte tenu des intérêts géostratégiques dans cette région, mais il était inconcevable pour Washington que sa VIe flotte ne soit pas sous commandement américain.
L’auteur rappelle plusieurs fois et à juste titre que, hormis la France, les États-Unis sont eux aussi des « mauvais élèves » de l’Alliance et que bien souvent, ils n’ont pas mis en œuvre des décisions qu’ils avaient contribué à faire adopter par les autres membres de l’Alliance. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que l’engagement américain au sein de l’Otan n’est qu’un des modestes volets du déploiement militaire américain dans le monde.
Pour la France, les évolutions militaires depuis la guerre du Golfe de 1990-1991 étaient telles que le maintien du statu quo n’était plus possible. En effet, l’effort soutenu par Paris concernant les forces déployées dans le cadre de cette alliance de circonstance – la quatrième contribution – n’était pas reconnu dans l’accession aux responsabilités et aux échelons supérieurs du commandement. Il en a été de même pour les opérations suivantes, notamment dans les Balkans. La décision du président Sarkozy est considérée par Pierre Lellouche comme la conclusion logique et inéluctable du processus de rapprochement engagé par Paris depuis des années. Cette réintégration complète devrait ainsi permettre d’être plus présent dans les choix de l’Alliance ainsi que dans la conduite des opérations notamment en Afghanistan. Ce devrait être également une occasion favorable pour mettre plus d’Europe dans une organisation dominée par les États-Unis. Le pari est donc audacieux, voire risqué, mais mérite d’être engagé. En effet, une des clés de l’avenir de l’Otan se joue sur le théâtre afghan. Un échec dans ce pays aurait des conséquences politiques lourdes avec la tentation d’un repli de la part de pays européens peu enclins à projeter des troupes en dehors du continent. Par ailleurs, se pose également la question de l’extension de l’Otan en une forme d’Alliance à vocation mondiale incluant d’autres alliés comme l’Australie, la Nouvelle-Zélande, voire le Japon ou d‘autres pays inconditionnels de Washington.
Il reste donc à souhaiter et surtout à travailler pour que ce retour de la France soit un réel succès et pas une simple étape politique et médiatique. Un échec à terme de la démarche de Paris serait un échec pour l’Europe et pour l’Otan elle-même. La réussite est donc obligatoire.
Un livre indispensable. À lire d’urgence… ♦