Notre existence a-t-elle un sens ? Une enquête scientifique et philosophique
Ce n’est pas sans raison que nous présentons à nos lecteurs un livre de plus de 500 pages paru en 2007. Il a été réédité en 2009, preuve de son succès ; il se lit comme un roman, ou presque ; ses sources sont nombreuses et incontestables. Il traite enfin d’un formidable sujet : la révolution scientifique que nous sommes en train de vivre dans une inconscience douillette. Et pourtant ! Le matérialisme était, depuis la Renaissance, la religion des savants. Dieu était « hypothèse inutile » et l’humanisme sans fondement. Que le matérialisme soit mis à son tour cul par-dessus tête, telle est la bonne nouvelle que nous apporte Jean Staune, le réenchantement du monde est en route.
Pour autant, l’auteur prend grand soin de se démarquer de toute prise de position religieuse, exercice d’équilibriste bien difficile, on le verra. Suivons-le donc en son parcours, qu’il divise en quatre étapes : physique quantique, astrophysique, évolution biologique, conscience.
La « chose » quantique est un monde de merveilles et d’incertitudes. Impossible, on le sait, de connaître à la fois position et vitesse des particules élémentaires. Celles-ci, qui constituent les objets, ne sont pas elles-mêmes des objets. Elles se moquent du temps comme de l’espace. Quand deux particules sont corrélées, que l’une soit à Tokyo et l’autre à Paris ne les empêche pas de papoter ensemble. Elles réagissent à l’observation et, timides, se comportent comme si l’observateur les gênait. L’auteur, sérieux on l’a dit, se fait humoristique : voici les électrons, à la fois ondes et particules, qui se comportent en mauvais élèves, « prenant une posture d’enfants sages lorsque le directeur ouvre la porte et ne reprenant le chahut qu’à son départ ». Bref, la réalité n’est plus ce qu’elle était et l’auteur parle d’un « réalisme non physique », sorte de platonisme. Confus ? Jean Staune pointe le bout de l’oreille : la religion « redevient possible ».
Avec l’astrophysique, c’est autre chose, ou la même. Le big bang, vous connaissez ? Tout l’univers à venir contenu, à l’origine, dans un point minuscule, et libéré par l’explosion primordiale, il y a de ça… 14 milliards d’années. Bien ! Et avant ? Tout se passe comme si nos débuts, ou le début de nos débuts, restaient couverts d’un « voile pudique » (1). Et après ? La probabilité que notre univers s’organise comme il l’est, était infime, le voici pourtant tel qu’il est. Nouveau bout de l’oreille de Jean Staune, l’hypothèse du Créateur n’est pas sotte, non plus que celle d’un principe anthropique : il fallait, pour juger l’œuvre magnifique, une « conscience », la nôtre. On comprend « l’extase artistique » ressentie par les découvreurs d’infini et dont témoignent souvent les titres de leurs ouvrages (2). L’homme de foi, lui, n’y succombera pas, jugeant assez vaine cette traque de la création et bien pauvre son aboutissement.
Avec l’évolution biologique, le débat est plus chaud. La passion s’en mêle de part et d’autre et les darwinistes pur jus mettent beaucoup d’ardeur à défendre leur héros. Si l’évolution darwinienne est établie et le créationnisme absurde, les théories sont diverses et certaines peu assurées. La question demeure donc, entre hasard et sélection y a-t-il un plan directeur ? Troisième bout d’oreille : on n’est pas là par hasard, dit Staune, nous étions « attendus ».
Dernier débat, évoqué plus haut, et non le moindre : qu’est-ce donc que la conscience de soi, propre de l’homme ? Production du cerveau, disent les matérialistes. Non, disent les tenants du dualisme esprit-cerveau, qui refusent de voir l’homme réduit à ses neurones. Or, là encore un grand pas a été franchi et la porte ouverte vers l’inconnaissable : la conscience n’est pas une production du cerveau, le libre-arbitre existe, le dualisme est l’hypothèse la plus vraisemblable. Quant à savoir le lien qui unit esprit et cerveau, c’est un nouvel indécidable, nom moderne du mystère. Du mystère en soi le théorème de Gödel nous donne une définition : de même qu’il existe en mathématiques des propositions vraies et non démontrables, un système ne peut être « prouvé » à l’intérieur de lui-même.
L’état de l’art fournit à l’auteur sa conclusion : nous savons désormais pourquoi nous ne savons pas et pourquoi nous ne saurons jamais tout. Le neurologue qui écrit la postface du livre n’est pas tenu à la même prudence. Il décrit à merveille la déshérence du monde matérialiste et répond clairement à la question posée en titre. Un sens à la vie ? Seules les religions peuvent l’indiquer. Il y a urgence, ajoute-t-il, « je ne crois pas que notre société supporte bien longtemps le marasme dans lequel elle s’est enfoncée ». ♦
(1) Gilles Lapouge est un type épatant. Dans son dernier livre, qui n’a rien à voir avec ce qui nous occupe ici, je trouve ceci : « Il est probable que toute chose a une origine, même le vide et même le rien. L’origine aussi a une origine et avant cette origine il y a tant de choses, déjà, et ce qui nous angoisse, c’est ce qui précède l’origine, et comment connaître ce que Dieu fut avant que Dieu commence ? » ; La légende de la géographie, Albin Michel, 2009.
(2) Ainsi, mais ce n’est pas le meilleur, Le cantique des quantiques.