Les nouveaux dangers planétaires. Chaos mondial, décèlement précoce
Un livre sur l’horizon (1) des menaces… Toutes les menaces stratégiques de la guerre froide (même le terrorisme) étaient lourdes, stables, lentes (Pacte de Varsovie, etc.). Pour l’essentiel, ces menaces ont disparu. Aujourd’hui, le danger est chaotique, rapide, fugace. Hier structurées et hiérarchisées, les entités dangereuses (groupes terroristes, organisations criminelles transnationales, etc.) sont désormais amorphes ; parfois même acéphales.
Au centre de la scène terroriste du début du XXIe siècle se tiennent bien sûr les fanatiques religieux, et d’abord les islamistes, mais, depuis la fin de la guerre froide, de nouveaux acteurs non politiques s’adonnent au terrorisme : mafias, sectes et autres entités irrationnelles violentes. On constate aussi une coopération concrète, des échanges poussés entre grande criminalité d’un côté et terrorisme de l’autre.
Ces entités dangereuses ont des caractéristiques communes. Elles sont d’ordinaire nomades, dé-territorialisées et transnationales ; elles sont coupées du monde civilisé : leurs objectifs sont soit criminels soit millénaristes, ou quasi incompréhensibles (secte Aum) ; elles associent activité criminelle et terroriste ; elles pratiquent le massacre avec la volonté de tuer le plus de gens possible (ben Laden, Al-Qaïda au Maghreb, Aum, etc.). À l’horizon prévisible, l’instabilité est la règle et la stabilité, l’exception. La mondialisation licite et positive a sa « face noire », sa contrepartie illégale, criminelle et/ou terroriste.
Dans ce monde devenu chaotique, tout va vite : individus ou entités dangereux surgissent, frappent sans préavis (ou sans que leurs avertissements nous soient perceptibles) pour disparaître souvent tout aussi rapidement.
Dans la sphère du crime et/ou du terrorisme, alliances, hybridations, mutations, adviennent désormais selon des modalités et à des rythmes imprévisibles, sans que nous n’y puissions rien, sans même parfois que nous le remarquions. Dans ce monde chaotique, enfin, le préjugé ne pardonne pas car ici, les erreurs initiales sont irrattrapables. Prenons la guerre en Irak : la partie, commencée le 19 mars 2003 par des tirs de missiles, est perdue dès le 19 août de la même année (2) quand est assassiné, par usage d’un camion piégé contenant 400 kg d’explosif, le représentant de l’ONU, Sergio Vieira de Mello. Ainsi, depuis six ans, sommes-nous dans les irrémissibles séquelles d’une aventure qui s’est jouée en cinq mois.
Un État souverain lent et myope.
Aujourd’hui tout va vite, sauf l’État souverain. Non seulement il est trop lent, mais il est trop souvent dans la pire des formes d’erreur : croire qu’il sait alors qu’en fait, il ignore. En effet, les textes officiels (français, mais aussi ceux d’autres pays d’Europe et de l’Union européenne) présentent d’usage comme menaces « futures » des dangers « actuels » ; certains même constants depuis vingt ans et plus (crime organisé, islamisme…) (3). Or, « prolonger une courbe n’est pas prévenir » ; dans bien d’autres domaines de l’activité humaine c’est même l’inverse ! Considérer que demain sera comme aujourd’hui, ou comme hier, provoque ainsi, et souvent, la mort du patient (médecine) ou la ruine (Bourse).
Comment donc envisager les « vrais » dangers et menaces de l’avenir maîtrisable ? Comment déceler les activités des criminels et terroristes, ce, assez tôt pour pouvoir empêcher les attentats, les trafics les plus dangereux ? Car les temps ne sont plus où l’ennemi était connu, stable et familier. Il est aujourd’hui fugace, bizarre, incompréhensible ; et d’autant plus dangereux.
Devant toutes ces menaces, il faut donc être sans cesse en éveil ; il faut suivre toutes les pistes. Il est désormais impératif de s’intéresser au bourgeon dès qu’il éclôt ; et non plus seulement à l’arbre adulte. Experts, policiers, officiers de renseignement, dirigeants politiques, chefs d’entreprises, ne peuvent plus s’autoriser l’inattention ; se borner à prolonger les courbes ; penser que ce qui était dangereux hier le restera demain. À eux tous, la paresse intellectuelle est désormais interdite.
Pour l’État-nation, le réactif, c’est fini.
À l’horizon discernable, le désordre du monde impose à tout État nation soucieux de protection et de défense, de dépasser le simple commerce technique réactif avec des phénomènes ou des entités dangereux ou menaçants. Cet essai vise à faciliter ce dépassement en aidant à régénérer une désormais cruciale pensée stratégique. L’objet principal de ce livre est donc de permettre aux acteurs de la « sécurité globale » d’élargir, d’approfondir, de systématiser leurs savoirs pour pouvoir ensuite percevoir et comprendre plus aisément et surtout, à temps, les périls souvent mal vus, ou trop tard, sinon pas du tout. ♦
(1) Horizon : du grec horizein, à l’origine, ce qui délimite et enclôt. L’horizon attire le regard – donc la réflexion – vers l’avenir et l’indéterminé. Nous extrayant du registre de la courte vue, l’horizon nous ouvre le riche domaine du possible.
(2) Par « partie perdue », nous entendons qu’aucun des objectifs de victoire, initialement fixés par la Maison-Blanche elle-même à cette guerre, n’a pu, et ne pourra finalement, être atteint.
(3) De la p. 49 à la p. 56 du récent Livre blanc de la défense et la sécurité nationale, sont énumérées les « vulnérabilités nouvelles pour le territoire et les citoyens européens : le terrorisme, la menace des missiles, les attaques majeures contre les systèmes d’information, l’espionnage et les stratégies d’influence, les grands trafics criminels, les nouveaux risques naturels et sanitaires, des risques technologiques accrus, l’exposition des ressortissants à l’étranger ». Or, qu’y a-t-il de nouveau là-dedans ? La même liste aurait pu, à epsilon près, avoir été dressée peu après la chute du mur de Berlin, voici environ vingt ans.