Amerak
Mieux que le film La chute du faucon noir, le livre d’Adrien Jaulmes (1), grand reporter au Figaro, se dévore comme un roman, tant la réalité de la guerre en Irak y est intensément décrite. Il ne s’agit pas d’un essai sur les causes et les conséquences de ce conflit majeur. Il ne s’agit pas non plus d’une réflexion sur l’art de la guerre, la technologie militaire ou encore la tactique employée dans ce théâtre. Il s’agit d’un voyage choc dans un univers de violence où deux mondes étrangers et hostiles s’affrontent comme dans un film de science-fiction, mais il ne s’agit pas d’un scénario hollywoodien.
Il s’agit de la réalité quotidienne, angoissante et monotone d’une guerre qui n’en finit pas (2). D’un côté, il y a l’armée américaine, bourrée de technologies et de certitudes, sûre de sa suprématie technique et tactique. De l’autre, un peuple, ou plutôt des peuples incapables de vouloir revivre ensemble sur le territoire de ce que fut l’Irak de Saddam Hussein. Le seul mode de régulation et de fonctionnement depuis 2003 a été la violence aveugle sans distinction entre les victimes parmi lesquelles des civils innocents.
À lire Adrien Jaulmes et pour ceux qui connaissent les armées américaines, la description du quotidien et de l’environnement des GI est particulièrement bien vue, mais désespérante. On est plus proche du film Starship troopers (1997) que des Bérets verts (1968) de John Wayne. Les Irakiens, qu’ils soient sunnites ou chiites, civils ou insurgés, loyalistes ou dissidents semblent perçus par les « boys » comme les insectes monstrueux, les Aliens, qu’il faut détruire pour ne pas être tué soi-même. Mais, à la différence d’Hollywood, la guerre est ennuyeuse et mortelle. Le soldat attend beaucoup et doit d’abord tuer le temps avant de vivre l’action. Beaucoup ne connaissent d’ailleurs pas l’Irak puisqu’ils ne sortent pas des gigantesques camps militaires construits pour les héberger, les soutenir, les faire travailler et même les distraire. Ces bases sont comme une reconstitution fidèle du territoire américain et de son american way of life, un cocon protecteur, un havre de consommation et de sécurité au cœur du territoire ennemi, l’Irak.
Il y a les patrouilles et les convois où la crainte est permanente de voir son véhicule ou celui de ses camarades se faire toucher à mort par un IED – une mine artisanale – et donc d’être tué ou blessé. Et malgré les efforts déployés comme le montage de blindages additionnels et de brouilleurs électroniques sur les véhicules, l’imagination perverse des insurgés leur permet de concevoir et de mettre en œuvre de nouveaux pièges encore plus mortels à chaque attaque. Ce livre – court, sec et intense – sent la poussière, la souffrance et le sang. Sang d’une population divisée, victime de son incapacité à vouloir la paix. Sang de soldats américains à qui on a dit qu’ils défendaient les valeurs de la démocratie et du capitalisme et qui se battent d’abord pour défendre tout simplement leur vie et celle de leurs camarades. La guerre restera toujours basique et cruelle. ♦
(1) La lecture de ce livre m’a été suggérée à partir du blog de Jean-Dominique Merchet.
(2) Cet automne 2009, la situation sécuritaire s’est cependant améliorée avec le renforcement progressif des capacités policières irakiennes et le début du repli américain programmé jusqu’en 2011.