Asie - Situation stratégique : nouvelle bipolarité
Aujourd’hui, c’est la montée en puissance de la Chine qui impressionne, voire qui inquiète. Et les problèmes internes ou les faiblesses structurelles que connaît ce pays ne peuvent occulter la réalité d’une puissance émergente dans tous les domaines : politique, économique, technologique, militaire, culturel, autant de champs dont les acteurs allient les ressources pour répondre, en fonction des objectifs fixés par le pouvoir central, à une stratégie de domination régionale, voire de recherche d’expansion mondiale aujourd’hui. Voici une Chine qui tend à vouloir réaffirmer sa place d’antan, celle de l’Empire du Milieu, y compris au-delà de sa région asiatique, face à des États-Unis qui restent puissants bien qu’en perte de vitesse à certains égards. Mais en face ce sont aussi des États-Unis qui entendent conserver une influence forte en Asie. Toutes les autres nations, malgré leur importance pour certaines, telles que la Russie, n’apparaissent plus être, en fin de compte, que des acteurs périphériques. De ce fait, le discours chinois sur la multipolarité apparaît davantage comme un subterfuge tactique, pour ne pas dire stratégique, destiné à rassurer ce monde périphérique global auquel appartient une Europe en douloureuse gestation unitaire, cette Europe dont la Chine profite de la division pour tirer des avantages de l’un ou l’autre de ses membres (1), notamment sur le plan des transferts de technologie, comme elle profite, sur son flanc sud et dans un autre registre, de l’absence d’unité entre les pays d’Asie du Sud-Est.
Puissance politique, la Chine le démontre non seulement au travers de sa présence dans de multiples organisations internationales mais aussi de la façon dont elle parvient à imposer ses volontés. Le jeu qu’elle a joué dans le Sommet de Copenhague est significatif à cet égard. Le leadership qu’elle entend assumer au nom des pays en développement en se présentant comme le plus grand d’entre eux en constitue une autre preuve. Cette dernière illustre, par ailleurs, la manière dont la Chine use simultanément d’un moyen de stratégie d’influence et d’un argument économique pour répondre à un objectif stratégique, dans le but d’asseoir une position de leader et de gagner les suffrages de nombreux États du tiers-monde. C’est grâce à une telle argumentation aussi qu’elle continue à obtenir des avantages économiques de l’Occident et à en aspirer les hautes technologies.
Malgré l’existence de failles, la puissance économique chinoise est manifeste. Elle se lit au travers des multiples chiffres qui apparaissent régulièrement à ce propos, chiffres qui viennent contredire de manière patente le discours du « plus grand pays du monde en développement » (2). Si sur le plan des hydrocarbures et des matières premières la Chine est devenue fortement dépendante de ses approvisionnements extérieurs, elle détient cependant une monnaie stratégique majeure d’échange, si ce n’est de chantage, en la présence de ressources abondantes en « terres rares » (3) sur son territoire. Apparaît aussi la perspective de la voir, en 2010, souffler la place de deuxième puissance économique mondiale à un Japon par ailleurs toujours en crise, même après le changement de gouvernement opéré au mois de septembre 2009. Les citoyens nippons en espèrent cependant encore un sursaut, notamment au travers du plan stratégique à long terme annoncé le 30 décembre 2009. Cela dit, bien qu’affaibli, le Japon donne l’impression de chercher des solutions pour reprendre une main en passe de lui échapper. Dans cette perspective, il appelle de ses vœux à la concrétisation du grand projet de Communauté d’Asie de l’Est (4) dont l’idée a été avancée dès 2005. Mais de la coupe aux lèvres il y a encore loin et il n’est pas évident que, même dans un tel contexte, Tokyo puisse conserver un authentique leadership dans la région Asie.
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