Le désarroi actuel des opinions publiques occidentales face à la guerre en Afghanistan s’inscrit dans un lourd héritage historique. Le fantasme du barbare n’a pu être complètement dissipé au XXe siècle par les sciences sociales, durablement embarrassées dans leur tentative de définition de la guerre.
Guerre, crise et barbarie
War, crisis and barbarism
Western public opinion’s current confusion over the war in Afghani-stan has its roots in the long and tragic history of the region. This fantasy of the barbarian was not entirely eradicated by twentieth century social sciences, which are still very conscious of their failure to define warfare.
Après les États-Unis, le Canada et le Royaume-Uni, la France expérimente, depuis l’an passé, un dispositif destiné à atténuer les effets néfastes du stress de combat sur les militaires engagés en Afghanistan. Après six mois de mission, des militaires passent deux jours de stage dans un hôtel touristique, en bord de mer. Le « sas de Chypre », selon la désignation du ministère de la Défense, accompagne les soldats dans leur difficile réadaptation à la vie ordinaire et familiale. La présence, chez certains combattants, de douloureux et persistants traumatismes de guerre, est connue depuis longtemps. Mais que signifie ce sas et quelle frontière matérialise-t-il au juste ? Qu’est-ce que ces soldats tentent de laisser derrière eux en rentrant de Kandahar ou de Kaboul, une crise, une guerre ou l’expérience de la barbarie ?
Vues depuis l’Europe occidentale, les figures de l’Afghan et de son ancêtre persan, dans notre imaginaire et dans notre expérience, suffisent à formuler nos questions sur la nature de la guerre. Depuis plusieurs siècles, l’Afghan revêt idéalement pour nous le rôle emblématique de l’étranger, à la fois fascinant et repoussant, semblable et différent, proche et barbare. À peine clos, le XXe siècle, qui fut guerrier comme jamais, nous a ramenés les armes à la main vers la Perse séculaire et redoutable et celle-ci nous pose de nouveau la question de la nature de la guerre. Il semble, pourtant, que nous n’ayons pas appris grand-chose de ce siècle furieux et meurtrier où la guerre prit tous les visages. En dépit d’un développement conjoint de la guerre de masse et des sciences sociales, ces dernières sont restées singulièrement empêtrées dans leurs difficultés à décrire et comprendre le phénomène guerrier.
Le cas afghan est l’occasion d’un retour vers une représentation embarrassée de la guerre.
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