L'auteur reprend ici plusieurs des thèmes qui ont fait l'objet d'une conférence prononcée au Collège de France, le 17 février 1983. Il vient de publier sur le même sujet un livre : Les alliances dans le système mondial (Puf).
Qu'est-ce qu'une alliance ?
Deux définitions de L’alliance sont traditionnellement proposées par les auteurs. L’une, plus stricte, est centrée sur l’engagement d’assistance qui est au cœur de l’accord conclu entre les États partenaires. Pour Henri Capitant, dans son « Vocabulaire juridique », il s’agit du traité « par lequel deux puissances s’engagent à se porter mutuellement secours, soit par une action militaire, soit par tout autre moyen au cas d’une guerre affectant l’une d’elles ». Selon le Droit international d’Oppenheim, publié par Lauterpacht, les alliances sont « des traités d’union entre deux ou plusieurs États, en vue de défendre chacun d’entre eux contre une attaque armée, ou d’attaquer ensemble un État tiers, ou dans ces deux buts à la fois ».
L’autre, plus fluide, dénomme alliance toute union de deux ou plusieurs États pour la poursuite d’un but politique commun. Pour Vattel, on doit appeler alliance « tous les traités à objet général et exécution continue signés entre souverains ou républiques », par opposition aux autres conventions, accords et partions à objet particulier ou temporaire. Heffter, dans son Droit international de l’Europe, conclut à une analogie entre l’alliance et le contrat de société commerciale : « On s’engage par là à contribuer d’après un plan arrêté à la réalisation d’un certain but politique par des moyens soit égaux soit inégaux. L’un des alliés pourrait même se charger seul de l’exécution, accorder à l’autre la totalité des bénéfices et l’affranchir de toute contribution aux pertes, pourvu que cela se fasse expressément ». Le but de l’alliance pourra être pacifique ou concerner la guerre, le maintien de la neutralité face aux puissances étrangères ou de la paix interne face aux « factions ». Freytag-Loringhoven, dans son cours de 1936 à l’académie de Droit international de La Haye, voit le caractère essentiel de l’alliance « dans l’accord conclu en vue de poursuivre une politique commune, soit dans tous les domaines, soit dans certaines questions de détail ».
La deuxième conception est d’un grand intérêt pour appréhender globalement les rapports de force internationaux. Elle peut même être encore élargie dans l’actuel contexte de lutte économique et sociale transnationale, caractérisé par l’apparition d’une relation intérieure au monde, d’une politique interne du « village planétaire ». Depuis l’entrée par effraction du Tiers Monde, à l’automne 1973, comme nouveau pouvoir dans l’arène internationale, la séparation des échiquiers interne et international, politique et économique, est altérée. On pourra parler, à propos du fameux groupe des « Soixante-dix-sept », de « syndicat » des nations prolétaires, ou encore de front commun, d’« alliance », de l’ensemble du Tiers Monde, malgré les rivalités pour la direction du « Tiers-État » planétaire et les divergences objectives d’intérêt et de situation : la crise pétrolière, tout en approfondissant le fossé qui sépare la nouvelle « classe moyenne » mondiale — producteurs de matières premières importantes et jeunes États à secteur industriel concurrentiel — du « Quatrième Monde » formé des pays véritablement pauvres, a donné à l’ensemble des États du « Sud » le sentiment d’une puissance véritable. De même, on pourra mettre l’accent sur l’« alliance énergétique » constituée à l’Ouest entre les États consommateurs. Les interactions entre la « grande politique étrangère » et la politique énergétique n’ont-elles pas permis aux États-Unis de déplacer sensiblement le site du dialogue transatlantique ? La « nouvelle charte atlantique », préconisée en vain par l’administration Nixon au printemps 1973, cède la place au « front des consommateurs d’énergie ». Modification apaisante : aux brutaux rappels à l’ordre délivrés à une Europe oublieuse des interdépendances entre économie et sécurité, succède le rapprochement avec la même Europe au nom de la solidarité énergétique.
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