« De l'action de guerre »
L’homme blanchi par l’âge, l’officier qui entrait à St-Cyr dans l’année même que paraissait Le Fil de l’Épée ne peut porter sur l’actualité de cet ouvrage, sur sa nécessité, sur l’air du temps où baigna sa naissance, le même regard que celui des jeunes hommes d’aujourd’hui dont on leur dit qu’il aurait dû être le livre de référence de leur père. Il demeure que c’est la lecture contemporaine qui prime, celle que sous-tend une page de l’histoire de France encore frémissante d’ambiguïtés.
C’est qu’en effet, même si un grand homme, général ou non, n’écrit pas forcément un bon livre, voire un livre prémonitoire sur un objet à la fois aussi déterminant et aussi décrié que la guerre, mieux vaut que l’on sache qu’un grand homme d’action se dissimule à la suffisance et aux lenteurs du pouvoir. Ils ont donc vocation de purgatoire. Sun Tsu demeure inconnu des Occidentaux plus de deux longs millénaires ; le comte de Guibert, ce géant, illumine deux décennies de son siècle puis sombre de façon incompréhensible dans un oubli de deux cents ans ; Clausewitz, que lurent quelques généraux prussiens, atteint à la renommée après plus de cent ans parce que Lénine lui fit référence ; chacun ignore que Machiavel, célèbre à contresens pour cinquante pages du « Prince », a, de son propre aveu, voué sa vie à l’art de la guerre et qu’il s’est délivré de cette obsession en cinq cents pages magistrales, désespérées, relativement méconnues dont la conclusion a été célébrée en « Marseillaise » par Ernest Renan.
Seuls César, Napoléon, de Gaulle ont échappé à un pareil destin parce que leur génie leur a permis d’être, en trois séquences, le concepteur (parfois), l’acteur toujours, l’analyste souvent, d’un moment violent de l’Histoire. Certes, il a fallu attendre l’infamante défaite de 1940 et la survie de 1944 pour qu’on lise de Gaulle. Mais qu’est-ce que huit ans ?
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