Les membres de la commission que j’ai eu l’honneur de présider ont été unanimes à voir dans « Du prestige », comme d’ailleurs dans le livre entier, non seulement un autoportrait de de Gaulle, mais l’aboutissement d’une longue réflexion sur la dynamique de son destin. Cette réflexion l’est aussi sur le chef, qu’il soit politique ou militaire : très exactement d’un homme dont la vocation singulière est l’autorité au service de la grandeur. « Car, en dernier ressort, c’est là qu’on doit en venir », écrit de Gaulle à la dernière page du Fil de l’Épée ; on ne fait rien de grand sans de grands hommes, et ceux-ci le sont pour l’avoir voulu ». Nous aurons à revenir sur cette phrase.

Le prestige, chez un chef, est l’ensemble tout indéfinissable de qualités, je dirais presque de puissance de l’âme, par lequel cette autorité s’impose. Ne résistons pas au plaisir de citer cette belle formule qui résume ce qu’il y a en lui de magie : « Il en va de cette matière comme de l’amour, qui ne s’explique point sans l’action d’un inexprimable charme ».

Le prestige est une maîtrise des événements et des hommes, qui suppose un risque, une audace, une décision. « En face de l’action, la foule a peur », dit de Gaulle. Le chef, lui, s’incorpore à l’action : encore faut-il qu’elle ait un dessein qui, dit-il encore, « porte la marque de la grandeur ». Ce mot, de nouveau, nous arrête. Il n’est pas de notre vocabulaire familier. Il faut pourtant le mettre fortement en lumière, non seulement parce que de Gaulle se résume dans ce mot, mais parce qu’il pense que la grandeur, chez le chef, répond à une attente inconsciente de la masse, « au souhait obscur des hommes à qui l’infirmité de leurs organes fait désirer la perfection du but ». Que la supériorité personnelle soit en quelque sorte un catalyseur de l’idéal pour la foule des hommes ordinaires qui, sans elle, n’en prendrait jamais conscience, une telle idée ne court pas présentement les rues. En temps normal, l’égalitarisme rassure, alors que la haute exigence est hors de saison. Seul le sentiment d’une crise, d’une urgence, révèle à l’homme qu’il est d’une toute autre dimension, dont le chef, à point nommé, met en valeur la mesure. La valeur, justement, est cela : cet ensemble de qualités qui font la mesure de l’homme, l’humain véritable et non l’humain coutumier, l’infrahumain.