Discours de clôture
J’ai le grand honneur de clore le colloque sur le Fil de l’Épée M. Charles Hernu qui avait eu le plaisir d’inaugurer l’exposition Charles de Gaulle – 1932 – Le Fil de l’Épée m’a demandé de le remplacer en ces lieux, alors qu’il est retenu à l’Assemblée nationale par le débat sur la loi de programmation militaire.
Je tiens à saluer le général Simon, chancelier de l’Ordre de la libération qui dès le départ a donné son accord enthousiaste à l’idée de cette exposition au Musée de l’Ordre de la libération.
L’immense et minutieux travail de recherches, de commentaires, d’organisation accompli par Mme Michel, conservateur au Musée de l’Ordre de la libération aura soulevé un regain d’intérêt autour de la figure de Charles de Gaulle, de sa jeunesse, autour de l’année 1932, autour d’un simple recueil de conférences aux propos riches d’avenir.
Je remercie les personnalités civiles et militaires qui ont bien voulu animer ce colloque et salue particulièrement le général Pozzo di Borgo, directeur de l’Enseignement militaire supérieur. La belle tenue des débats et la justesse des conclusions auxquelles ont abouti les différentes commissions sont à la hauteur de l’indiscutable qualité intellectuelle de tous ceux qui, nombreux, y ont participé.
Ces diverses réflexions suscitées par la lecture du Fil de l’Épée éclairées par tous les documents, les journaux, les images évoquant les années trente, ne représentent pas simplement une monumentale leçon d’histoire. Avec la mort de Briand, ardent partisan de la paix et de la collaboration internationale, avec l’assassinat de Paul Doumer, l’époque avait vu la montée des courants pacifistes, l’essor du fascisme mussolinien, l’ascension irrésistible d’Hitler. Cette année-là, Mein Kampf était réédité.
En France, les douloureux problèmes de politique interne accentuaient la valse des ministères. Des décisions cruciales engageant l’avenir devaient être prises afin de donner un élan à la défense de la Nation. Les états-majors cherchaient à définir le rôle de l’arme blindée, celui de l’aviation. Le capitaine de Gaulle tentait de comprendre les nécessités de son temps, la puissance des armes nouvelles mécanisées et la manière de les employer. Bientôt, dans un livre de tactique et d’organisation militaire, il présentera un projet de modernisation des forces armées.
Il est à l’écoute de son temps, enclin toujours à renouveler l’analyse qu’il fait du présent. Il apprend à se méfier des grands systèmes qui paraissent parfaits dans l’absolu, mais qui négligent la réalité dans sa confusion apparente, dans sa complexité. L’armée tire sa puissance de sa capacité d’adaptation aux circonstances, la théorie ne fournit pas de solutions miraculeuses. La leçon du passé, fût-il glorieux, ne se confond pas avec un schéma pour l’avenir. S’il existe une doctrine militaire générale, elle « revêt essentiellement, disait Charles de Gaulle, le caractère de la contingence ». Le gouvernement auquel j’appartiens en a pleinement conscience.
La puissance de l’armement atomique ne doit jamais nous laisser enfermer dans une nouvelle ligne Maginot, qui serait à la fois imaginaire et suicidaire. C’est pourquoi, le ministre, actuellement retenu à l’Assemblée nationale pour y présenter les objectifs à long terme poursuivis par le gouvernement dans l’équipement des forces armées réaffirme la nécessité :
- de maintenir la capacité dissuasive des armes nucléaires en les modernisant face à l’évolution des menaces ;
- de poursuivre la modernisation des forces conventionnelles dans un souci de cohérence interarmées, en accroissant leur puissance de feu et leur mobilité ;
- de rester au premier rang dans toutes les technologies nécessaires à nos capacités militaires essentielles.
L’instrument de défense de demain qui s’esquisse derrière ces principes clairs et simples est entièrement tourné vers l’aptitude opérationnelle, la mobilité, la coordination rapide de nos forces, leur polyvalence, la rapidité d’intervention.
Œuvre d’un moraliste nourri de Vauvenargues, de Vigny, de Péguy, écrite par une plume incomparable, le Fil de l’Épée tend à définir l’homme de caractère, celui dont les choix influent sur le cours de l’histoire. Voilà dressé un portrait idéal, une figure sans doute hautaine mais propre à éveiller la méditation. Car le chef militaire est seul à l’heure de la décision dont il aura à rendre compte, il est responsable à son échelon, comme l’est chaque soldat à son niveau plus modeste dans une armée démocratique et moderne où la discipline doit renvoyer à la compétence et à la volonté d’accomplir la mission assignée. Ainsi, quand Charles de Gaulle se plaît à évoquer la mesure, l’harmonie et la règle, il n’y voit nullement l’entrave qui diminue, mais au contraire le principe qui consolide les volontés et les aide à se surpasser.
D’ailleurs, la défense n’est rien sans l’esprit qui l’anime. Les armes les plus perfectionnées ne servent à rien sans la femme volonté d’un peuple fier de son Droit et de sa Liberté qui les maintient dissuasives. A trop croire les conflits périmés, tant on voudrait qu’ils le fussent, on risque la défaite par les armes, on s’aventure vers l’asservissement. A écarter l’institution militaire de la vie de la nation, on désespère ceux-là mêmes qui consacrent leur carrière et leur vie à l’indépendance du pays.
Nous pourrions dire aujourd’hui, à la manière de Charles de Gaulle au début de son livre, que « l’incertitude marque notre époque ». Dans la France frileuse, à l’orée des années trente, dans ce pays meurtri qui repoussait viscéralement toute l’horreur de la grande guerre qui s’achevait à peine, cette tragédie dont la nation était sortie exsangue mais victorieuse, ce livre de philosophie militaire détonnait comme un scandale. Les moralistes, les scientifiques, les intellectuels, les États même rêvaient de l’organisation pacifique de la paix perpétuelle sans se donner les moyens de la garantir.
Charles de Gaulle, lui, réfléchissait à la façon de préserver les intérêts du pays et à la manière de sauvegarder l’esprit de défense. Le grand dessein de l’armée française demeure le maintien de l’indépendance nationale, de la paix dans la liberté. Et il faut pour cela que jamais ne s’émousse le Fil de l’Épée.
Dès la jeunesse du futur chef de la France se trouve le souci du destin national. Charles de Gaulle aimait à se référer au grand XVIIe siècle qui avait vu surgir Colbert, Louvois et Vauban, ces hommes d’État qui mettaient leur passion et leurs forces au service de la collectivité. Il insistait aussi sur le rôle de Carnot canalisant l’élan des masses révolutionnaires par une organisation efficace en formant les armées en divisions autonomes, homogènes et interchangeables. Les armes, sans doute, ont accompli le meilleur et le pire. Mais dans une société démocratique, elles sont exclusivement au service du Droit. Pourrait-on comprendre la révolution française sans la victoire de Valmy ? Pourrions-nous conserver un espace de liberté et de décision, sans la puissance de notre arsenal nucléaire et sans la disponibilité de nos forces conventionnelles qui permettent ici et ailleurs de rester fidèles à nos alliances et à nos amitiés ?
L’histoire l’enseigne, le dialogue du politique et du soldat, parfois conflictuel, ne doit jamais cesser pour autant. Les deux acteurs œuvrent ensemble au Bien commun ; ensemble, ils ont à assumer une fonction qui les distingue. Leur affrontement conduirait au désastre. Et le pays, dans ses profondeurs, ne pardonne, ni n’accepte les luttes vaines qui trahissent l’intérêt général et se moquent des véritables enjeux de la nation. L’homme politique accorde sa confiance et confie les armes acérées de la défense au commandement qui détient son autorité du pouvoir civil ; le président de la République étant, vous le savez, aux termes de la Constitution, le chef suprême des armées.
Le cinquantenaire du Fil de l’Épée a été l’occasion d’une rencontre. Des personnalités diverses, venues d’horizons différents ont pu s’apprécier et se comprendre. Cette exposition et ce colloque s’inscrivent dans une politique voulue par le président de la République. C’est l’affirmation du caractère global de la défense et du rassemblement des forces vives de la nation qu’il implique.
Le protocole d’accord Défense- Éducation Nationale signé le 23 septembre 1982, et le protocole d’accord Défense-Culture ratifié le 24 mai 1983, soulignent à leur manière le dessein national en faveur de l’indépendance d’un pays de citoyens responsables. ♦