L'auteur, l'un des plus assidus, déploie son talent « vigoureux » aussi bien dans des articles que dans des commentaires de livres et de revues. Il apparaît toutefois que son domaine de prédilection soit la « stratégie », et ses réflexions sur ce sujet sont quasi permanentes et toujours riches. Cet article reprend l’essentiel d’une conférence qu’il a prononcée en novembre 1984 devant les auditeurs de l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN).
Stratégies pour l'Europe
Lorsqu’on dit « défense de l’Europe », chacun pense Europe occidentale. C’est un beau succès pour l’opiniâtreté soviétique que notre courte vue. Bornant au rideau de fer l’Europe à défendre, on finirait par oublier l’énorme scandale qu’est une coupure si bien nommée. Le schéma scolaire nous apprend pourtant qu’une politique de défense doit s’élaborer selon trois questions : quoi défendre, contre quoi, avec quoi ? Appliquant le schéma à la situation européenne et cherchant à cerner en vérité le « quoi », l’indiscrète question nous amènerait à considérer les peuples de l’Europe de l’Est, Russes compris, comme nos frères séparés.
Mais cette vision, opérationnelle à long terme et nous y reviendrons, ne l’est pas à court terme. Dans l’instant l’Europe de l’Ouest — venons-y donc — sait bien ce qui la menace. L’Union Soviétique, voilà l’ennemi ! Certes on imagine mal comment, après une improbable conquête militaire, la massive rusticité du régime de l’Est pourrait assimiler nos subtilités foisonnantes. Pourtant, au-delà de l’idéologie simpliste qui la sous-tend, la puissance militaire de l’URSS, énorme et incongrue, suffit à justifier la crainte et la prudence.
Défense européenne : vieilles structures et nouveau débat
Ce n’est pas d’aujourd’hui qu’on s’en occupe et l’Alliance atlantique est née en 1949. Il n’est pas vain de rappeler que sa prime enfance a été marquée par un brutal changement affectif : il a fallu changer d’ennemi, prendre l’ancien pour allié et constater que l’allié d’hier était le nouveau méchant. Le méchant prend acte de son étiquette et crée, en 1955, le Pacte de Varsovie. La CED mort-née, l’UEO qui survit, la difficile création de la Bundeswehr et les précautions dont elle entoure encore la fonction militaire sont les souvenirs ou les séquelles de cette enfance perturbée. Pièce finale et majeure du décor de la défense européenne : en 1966, la France, ayant décidé de se doter d’une force nucléaire, quitte l’organisation militaire intégrée de l’Alliance. Ainsi fixé il y a presque 20 ans, le cadre institutionnel de la défense de l’Europe n’a pas depuis lors sensiblement changé.
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