Sous un titre qui paraphrase une formule de Raymond Aron (« Guerre improbable, paix impossible »), l'auteur fait part de ses réflexions sur le problème difficile de la défense européenne, c'est-à-dire, comme il l'annonce dès le début, de la question allemande. Il résume le sujet en évoquant « les efforts des Français pour trouver une solution à un problème qui n'en comporte pas ». Selon lui les Allemands sont bien conscients de cette impossibilité mais s'en accommodent, dès lors qu'ils sont assurés de la protection américaine, leur pensée profonde étant orientée – qui s'en étonnerait ? – vers une lointaine réunification.
La France, l'Allemagne et l'atome : discorde improbable, accord impossible
Lorsque les Soviétiques, dans les années soixante, nous parlaient inlassablement de la « sécurité européenne », notre ministre, Maurice Couve de Murville, ne manquait jamais de rectifier, sur le ton égal qui lui est propre : « C’est-à-dire de la question allemande ».
Il en va de même aujourd’hui de la « défense européenne », un thème qui nous vaut depuis quelque temps une déconcertante profusion de projets dont l’objet est toujours de rendre compatibles notre dispositif et notre stratégie avec la défense de notre voisine, la République fédérale. On notera qu’à cette exubérance rhétorique ne répond, du côté allemand, qu’une réserve polie. Plus que rares sont les voix allemandes qui s’aventurent à suggérer une sanctuarisation élargie, comme l’a fait Helmut Schmidt le 23 juin 1984 devant le Bundestag. Encore l’ancien chancelier parlait-il à titre personnel et a-t-il cru devoir atténuer beaucoup son propos six mois plus tard dans un entretien avec Patrick Wajsman (1). Egon Bahr, connu pour son neutralisme, son hostilité aux Pershing et son ouverture à l’Est, mais qui, en réalité, est avant tout un nationaliste, s’est prononcé lui aussi, dans un article publié par Der Spiegel le 20 mai dernier, pour l’extension à la RFA de la garantie nucléaire française. Il s’agit, semble-t-il, également d’une analyse personnelle qui serait cependant partagée par Willy Brandt et les éléments les plus à gauche du SPD.
Le raisonnement d’Egon Bahr, tel qu’il l’avait expliqué un an auparavant à Pierre Lellouche, est qu’à la différence des États-Unis et des Soviétiques « qui se dotent des moyens d’une bataille nucléaire limitée sur le sol de l’Europe… la France s’en tient à une stratégie de dissuasion et non de combat » (2). Ces propos, à première vue surprenants, s’inscrivent dans la logique du militantisme pacifiste et neutraliste des années 1981-1982, qui faisait appel tout à la fois à la peur et au nationalisme. L’Amérique pré-reaganienne était à l’époque, selon le général Haig, « perçue dans l’Alliance comme affaiblie ». Depuis le discours du 3 septembre 1979 de Kissinger à Bruxelles, l’hypothèse plausible d’une guerre limitée en Europe pénétrait douloureusement la conscience allemande, qui réalisait que le « théâtre » sur la scène duquel se jouerait le drame de la fin du siècle serait la grande plaine qui s’étend entre le Rhin et la Vistule. « Schlagfeld Deutschland » (l’Allemagne, champ de bataille) est un slogan qui a fait des dégâts que les Pershing II réparent à grand-peine. C’est dans cette optique qu’il convient de situer le discours d’Egon Bahr. Ce qui séduit les nationaux-neutralistes dans la doctrine française, c’est la dissuasion pure, la non-guerre.
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