In memoriam - Le Maréchal de Lattre de Tassigny
Le maréchal de Lattre de Tassigny a succombé le 11 janvier 1952, à 18 heures, après une brève et cruelle maladie qui avait donné lieu à deux importantes interventions chirurgicales. Il est mort en prononçant une dernière fois, à 17h53, le nom de son fils unique, Bernard, tombé au champ d’honneur devant Minh-Binh.
Cette prestigieuse carrière se brise prématurément, en pleine gloire, au moment où, haut commissaire de France et commandant en chef en Indochine, de Lattre avait rétabli une situation gravement compromise dans le Sud-Est asiatique.
Jean-Marie-Gabriel de Lattre de Tassigny était né le 2 février 1890 à Mouilleron-en-Pareds (Vendée), au village natal de Georges Clemenceau. Sorti de Saint-Cyr dans la cavalerie, le jeune lieutenant reçoit sa première blessure dès les premiers combats du début de la guerre de 1914 : un coup de lance de uhlan, au cours d’une échauffourée. Promu capitaine, il passe dans l’infanterie en 1915 : il termine la guerre avec quatre blessures et huit citations.
Au Maroc, il devient chef d’État-major de la région de Taza et combat au Riff. Chef de bataillon, il est, pendant cinq ans, affecté à l’État-major général de l’armée. Il suit alors les cours de l’École supérieure de Guerre ; il en sort major et colonel. Collaborateur du généralissime Weygand pendant quatre ans. Il prend ensuite, à Metz, dont Giraud est gouverneur, le commandement du 151e Régiment d’infanterie.
Au début de la deuxième guerre mondiale, il est chef d’état-major de la Ve Armée, et, à cinquante ans, le plus jeune général de l’Armée française. En janvier 1940, il se voit confier la 14e DI, composée de bataillons de chasseurs. Du 15 mai au 11 juin, il rejette trois attaques allemandes sur l’Aisne, puis il se replie sur la Marne, et défend à Nevers les passages de la Loire.
Après l’Armistice, il fait de sa division reconstituée un corps d’élite. Il fonde à Opme, sur le plateau de Gergovie, la première école de cadres d’officiers et sous-officiers, et, en 1941, une seconde à Salambo, en Tunisie. Mais il y est jugé dangereux ; il est muté en France et placé à la tête de la 16e division à Montpellier.
Il prépare la résistance dans le massif des Corbières et la haute vallée du Tech. Au moment où, après l’envahissement de la zone libre, le 11 novembre, il va passer à l’action, il est accusé de « partir en dissidence ». Presque seul, il est arrêté et, le 9 janvier 1943, condamné il dix ans d’emprisonnement. Il scie les barreaux de sa prison de Riom, le 2 septembre, prend le maquis, gagne Londres, puis Alger.
Le général de Gaulle lui confie la préparation de l’armée B, destinée à lutter sur le sol français, Il commence par enlever, en trois jours de durs combats, l’île d’Elbe (17-19 juin 1944). Le 16 août, sur les plages de Saint-Tropez et de Cavalaire, débarque le premier échelon de la « Ire armée française ». Malgré de nombreuses lacunes dans ses unités, de Lattre brusque le mouvement. Il déborde, le 21, le camp retranché de Toulon. Dès le 23, ses tirailleurs sont au centre de Marseille : 40 000 prisonniers sont en son pouvoir.
Il fonce sur Lyon. Entre le 2 et le 5 septembre, Villefranche, Mâcon, Chalon-sur-Saône sont libérés. Le 12, la liaison est rétablie avec Leclerc qui descend de Paris. En trois semaines, de Lattre a mené son armée jusqu’aux Vosges. Il reprend l’attaque dès le 14 novembre, et rompt le front allemand. Le 20, ses chars atteignent le Rhin, libèrent Mulhouse. Mais l’ennemi a pu se réorganiser dans la poche de Colmar. Sur les instances de de Gaulle, l’Allemand est contenu au Nord de Strasbourg. Jusqu’au 27 janvier, de Lattre mène des luttes farouches, avec Béthouart et Monsabert, jusqu’au canal de Colmar, qui tombe le 2 février.
Il obtient alors – non sans peine – de pénétrer en Allemagne. Ses troupes franchissent le Rhin à Spire et Gemersheim, entrent dans Karlsruhe le 4 avril. Puis il pousse vers le sud de Stuttgart vers la frontière suisse et le Danube. La 19e Armée allemande est anéantie. La Ire Armée a fait 200 000 prisonniers, conquis le Bade et le Wurtemberg. De Lattre accourt à Berlin pour y faire participer la France, le 3 mai 1945, à la signature de la capitulation allemande. Commandant en chef français en Allemagne, il s’affirme par sa diplomatie, son faste et la tenue impeccable de son armée.
Le 26 novembre 1945, il est nommé inspecteur général et chef d’État-major général de l’Armée de terre. Il y impose partout l’ordre, la tenue. Il veut rénover les méthodes d’instruction grâce aux écoles de cadres, aux camps de jeunesse et au sport. Le 11 mars 1947, il ne conserve plus que les fonctions d’inspecteur général, qui sont transformées, pour lui, en mai 1948, en celles d’inspecteur général de l’ensemble des forces armées – après une courte et importante mission diplomatique en Argentine.
Le 4 octobre suivant, les signataires du Pacte de Bruxelles lui confient le commandement en chef des forces terrestres de l’Union occidentale, à Fontainebleau. Une tâche plus importante encore pour la France et l’Occident couronne ses efforts. En décembre 1950, le général d’armée est nommé commandant en chef et haut commissaire en Indochine. Il y rétablit rapidement une situation qui paraissait compromise : « L’ère des flottements, affirme-t-il, est révolue, l’heure du commandement est arrivée. » Le 10 janvier, il peut proclamer que la « ligne de défense du Delta a tenu ».
En mai 1951, il prend part, à Singapour, à des conférences de coordination stratégique pour la défense de l’Est-Asiatique. Du 13 au 25 septembre, il plaide, à Washington, la cause de la France au Viêt-Nam devant nos amis américains. Mais tout ce labeur et la perte de son fils bien aimé, ont miné ce puissant organisme, que l’on croyait invulnérable. Après une dernière apparition en Indochine, où il déclare à Saigon : « L’heure du bâtisseur a maintenant sonné », il entre, frappé à mort, le 19 décembre, dans une clinique, à Neuilly.
La mort l’abat en pleine gloire. Les funérailles nationales lui sont décernées avec le titre posthume de maréchal. La foule de Paris, les Anciens Combattants de « Rhin et Danube » défilent devant son catafalque, aux Invalides et à l’Arc de Triomphe, du 13 au 15 janvier ; ses obsèques sont célébrées à Notre-Dame, le 16, en présence du Gouvernement et des corps constitués des grands chefs interalliés, avant le transport en sa terre natale de Vendée.
Figure hors pair, où la fantaisie se mêle constamment à la volonté. Intelligence fulgurante, séduction et, parfois, violence, courage personnel et décision foudroyante, de Lattre eut tous ces dons, qui font le chef de guerre, et, au-dessus de toute ambition personnelle, la passion de la Gloire et celle de la Grandeur française.
E. D.
UN ORDRE DU JOUR AUX ARMÉES
M. Georges Bidault, ministre de la Défense nationale, vice-président du Conseil, a lancé l’ordre du jour suivant aux Armées de terre, de mer et de l’air :
« Un héros est mort. Le général de Lattre de Tassigny aura tout donné à la patrie : ses victoires, son fils et sa vie.
Il laisse au pays sa gloire, à l’armée son exemple.
Vous vous souviendrez qu’il fut grand parce qu’il savait servir, qu’il sut commander parce qu’il savait aimer, qu’il sut vaincre parce qu’il savait oser.
Un grand chef nous a quittés. Et ses soldats, dont il a jusqu’à la preuve suprême partagé les sacrifices, ne méritaient pas de le perdre. Que sa mémoire pourtant les anime, et qu’elle inspire ceux qui après lui continuent le dur combat imposé aux hommes libres.
Le nom de Jean de Lattre de Tassigny appartient à l’histoire et sa légende au drapeau. »