L'auteur a étudié l'évolution économique de trois États de l'Association des Nations de l'Asie du Sud-Est (ASEAN) : la Thaïlande, la Malaisie et l'Indonésie. Il nous décrit les efforts et les progrès réalisés tout en en montrant les difficultés et les limites : cela nous permet d'avoir un aperçu objectif d'une situation sur laquelle nous sommes susceptibles d'avoir des idées erronées.
Association des nations du sud-est asiatique (ANSEA) : les difficultés du développement
Jusqu’à la crise de 1985, les pays de l’ANSEA (1) avouaient ouvertement leur ambition de suivre l’exemple japonais pour parvenir à une industrialisation très rapide qui les conduirait au même niveau, sinon à un niveau plus haut, que l’Occident. Les difficultés à se remettre de la récession les ont ramenés à des espoirs plus limités et donc plus raisonnables, et le modèle actuel est fourni par les nouveaux pays industrialisés (2) d’Asie. Cependant, là encore, il y a loin de la coupe aux lèvres. La reprise économique est encore faible, le cours des matières premières toujours fluctuant et de nouveaux facteurs internes et externes ont surgi pour ralentir ou mieux canaliser le développement industriel. En Thaïlande, la prise de conscience qu’il faut protéger les sites naturels bloque les projets jugés destructifs, alors que depuis le début de 1988 est dénoncé l’abandon des campagnes, par les journalistes, étudiants et militaires pour une fois réunis sur une même idée. En Malaisie et Indonésie, les mouvements écologistes de l’étranger organisent avec efficacité des campagnes contre l’exploitation intensive des forêts tropicales. Devant leur essor économique, les États-Unis, ainsi que l’Australie, ont de plus en plus tendance à leur refuser des avantages commerciaux, les considérant donc plus comme des rivaux que comme des pays sous-développés ayant droit automatiquement à une aide. Ces pays de l’ANSEA se heurtent maintenant non seulement aux difficultés traditionnelles de sortir de la pauvreté, mais encore au fait que leur industrialisation est critiquée ou qu’on leur supprime des privilèges. Une nouvelle stratégie, plus nuancée, tenant compte des réactions des pays occidentaux aussi bien que de la volonté de leur population, se révèle donc nécessaire.
Les réponses à la crise
C’est de 1971 à 1981, alors que l’ANSEA est une association connue surtout politiquement parce que confrontée à la présence vietnamienne au Cambodge, que la croissance a été la plus notable mais aussi la plus facile. Ces pays étant très pauvres ou même misérables en 1970, le moindre investissement japonais ou américain provoquait un gonflement des chiffres et en particulier de celui du taux de croissance (3). Cela frappa tellement les observateurs occidentaux qu’ils eurent l’illusion d’un développement magique et irréversible au moment où, en réalité, le déclin commençait, c’est-à-dire dès 1982 (4). À cette date, les taux de croissance baissaient déjà, au contraire des prévisions de ces pays qui espéraient les porter à 10 %. En 1984, il y eut un sursaut, puis ce fut la chute brutale de 1985 avec le choc pétrolier et des cours des matières premières à l’envers de ceux de l’Occident, c’est-à-dire l’effondrement des prix et un manque à gagner. Le baril de pétrole tomba à 12,50 dollars contre 39 en 1979, alors que le caoutchouc perdait 30 % et l’huile de palme 50 %. Ce fut la récession en Malaisie (– 1 %) et en Indonésie (1,9 %), alors que la Thaïlande se maintenait mieux à 3,2 %. D’autres chiffres montrent clairement cette dépression, trop souvent ignorée, ou dont on méconnaît l’importance. Le revenu par tête augmente très lentement ou même diminue (5). La dette publique double ou triple presque (6) et le taux de chômage grimpe à 7 %.
Il est évident que les villes et surtout les capitales ont largement profité de ce boum économique, que les campagnes se sont dotées d’une meilleure infrastructure et que les biens de consommation courante sont plus abondants. Mais, selon le concept créé par les Américains, il s’est agi plus d’une modernisation sans développement que d’un véritable décollage économique. Le succès le plus réel est certainement celui de l’Indonésie, qui est passée de 12,4 millions de tonnes (Mt) de riz en 1969 à 17,17 Mt en 1979 et enfin 25,5 Mt en 1984, atteignant ainsi l’autosuffisance, ce qui constitue un exploit peu banal pour un pays composé de 13 000 îles et peuplé de 170 millions d’habitants.
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