Conclusion
La situation démographique de la France en particulier et de l’Europe occidentale en général, a de quoi inquiéter légitimement les responsables de la défense nationale. De ce point de vue, l’important n’est pas le chiffre global de la population, mais la réduction des effectifs en âge de porter les armes, ct surtout les conséquences directes et indirectes du vieillissement, avec l’éventail de ses implications économiques, financières, sociales, politiques, psychologiques et par conséquent militaires.
Les perspectives qui ont été présentées sont-elles inéluctables ou pourraient-elles être modifiées par quelque événement, quelque évolution imprévue ou encore par une intervention des pouvoirs publics ? L’inéluctable, parce que déjà inscrit dans les structures démographiques qui sont de véritables bombes à retardement, c’est le vieillissement de la population française, ou plus exactement l’accroissement numérique de la fraction la plus âgée et aussi la réduction du nombre des jeunes actifs dans les vingt ans qui viennent. Il est même probable que l’augmentation du nombre des personnes âgées dépassera les prévisions de l’INSEE en raison des récents progrès médicaux ; il ne pourrait se trouver réduit que par des événements dramatiques ou par des politiques brutales que personne n’osera proposer, comme l’euthanasie, la création des colonies pour vieillards, comme l’envisagent les Japonais, ou enfin le refus de soins médicaux au-delà de 70 ans comme c’est le cas en Roumanie.
Quant à la réduction de la population de jeunes actifs, on pourrait sans doute l’endiguer en recourant à l’immigration, mais nous vivons dans un système économique qui exige de hautes qualifications, et l’on voit mal sur le plan moral comment on pourrait priver le Tiers-Monde de ses trop rares techniciens afin qu’ils paient ici les retraites des « vieux Européens ». À plus long terme, dans le second quart du XXIe siècle, l’avenir de la population française n’est encore inscrit nulle part, puisque nous ne pouvons pas prévoir les futures fluctuations de la fécondité ni surtout les migrations internationales.
Comment va s’orienter la fécondité française ? Actuellement l’indice conjoncturel, c’est-à-dire le nombre moyen d’enfants par femme, plafonne à 1,82 seulement mais grâce à l’apport des étrangères. En ce qui concerne les Françaises de souche, nous sommes à 1,75 alors qu’on atteint 3,19 pour les femmes étrangères. Or, cet indice devrait atteindre 2,1 pour que le remplacement des générations soit assuré. Il est possible qu’il descende encore, comme chez nos voisins, Allemands ou Italiens, qui ont battu tous les records en 1987 avec 1,27 seulement, ce qui compromettrait soit la survie de la communauté nationale, soit en cas d’immigration massive son identité. Mais il est possible aussi que cet indice remonte à un niveau satisfaisant. La crise de la famille ne me semble pas devoir être systématiquement prolongée.
L’hypothèse d’une remontée n’est pas purement théorique. Contrairement aux affirmations péremptoires d’un petit lobby antinataliste, les politiques de natalité ne sont pas systématiquement vouées à l’échec. On citait l’exemple de l’Allemagne de l’Est, mais sachez que, lorsque la Sarre a été rattachée à la France et bénéficiait des dispositions du code de la famille, elle avait la fécondité la plus forte de tous les Länder allemands, et que depuis qu’elle a été rattachée à l’Allemagne et qu’elle a perdu ces avantages, elle a la natalité la plus faible. En France même, ne serait-ce pas grâce à ce qui subsiste encore de l’ancienne politique familiale (progressivement remodelée en politique sociale) que nous devons une situation qui, sans être brillante, présente des perspectives moins mauvaises que celles de nos voisins ?
Bien entendu, une nouvelle politique coûterait cher. Ce ne sont pas des mesures ponctuelles qui peuvent renverser la tendance. Il faudrait probablement un nouveau code de la famille accordant, je n’ai pas peur de le dire, des privilèges aux familles nombreuses. Ce n’est pas sous le signe de l’égalité des hommes et des femmes que les choses pourraient se faire : il faudrait un privilège que je considère d’ailleurs comme compensatoire, permettant aux femmes d’actualiser leur désir d’enfants, car, comme le dit Jean-Claude Chesnais, ce n’est pas ce désir qui manque, mais les conditions matérielles sont telles, dans notre civilisation de consommation avec les besoins qu’elle a créés, qu’il est presque impossible aux femmes d’exercer à la fois une activité professionnelle devenue indispensable et la fonction maternelle.
Par conséquent, il faudrait adopter des mesures très importantes, dont l’essentiel se situerait probablement dans le domaine des retraites en en accordant automatiquement aux familles nombreuses et en allouant des suppléments de retraite aux parents en fonction du nombre d’enfants qu’ils ont élevés ; ce qui impliquerait naturellement une réduction de la retraite des autres ; c’est là que gît le problème.
Cette nouvelle politique familiale devant permettre à la France de survivre au XXIe siècle coûterait très cher, et même si l’État était disposé à la pratiquer, il le ferait difficilement, car toutes les ressources disponibles sont maintenant mobilisées (et le seront de plus en plus) pour combler le déficit du système de protection sociale. De grands avantages ont été accordés, notamment au troisième âge, au temps exceptionnellement favorable où le nombre de personnes âgées par actif était très faible, alors que nous courons vers une époque où les proportions vont s’inverser mais où les avantages acquis resteront irrécupérables. De la sorte, tout le système de protection sociale est voué à un déficit de plus en plus grand, et les limites de la ponction fiscale sont bien proches d’être atteintes.
Par conséquent, le problème de la natalité française est un peu le même que celui de la défense nationale : il est à penser qu’en l’absence d’une réforme rapide les dépenses de la vieillesse vont accaparer toutes les ressources disponibles de la nation, ne laissant place ni à une politique démographique ni à une politique de défense digne de ce nom.
Quant aux migrations internationales, elles risquent de se présenter d’une façon radicalement nouvelle au cours des prochaines années en raison de la déstabilisation des pays du Tiers-Monde, plus particulièrement des États situés au sud de la Méditerranée. Il est à craindre que nous ne soyons confrontés à des migrations incontrôlables. Comment peut-on surveiller les frontières d’un État libéral, alors que le nombre des passages frontaliers dépasse cent millions ? ; il est donc possible que si des bouleversements importants intervenaient au sud de la Méditerranée, nous nous trouvions devant des vagues de réfugiés que nous ne pourrions pas rejeter à la mer. Le problème qui se posera alors sera de savoir si les peuples vieillis sont encore en mesure d’intégrer, puis d’assimiler, des éléments allogènes qui seraient une proie facile pour l’intégrisme musulman.