L’évolution brutale de la situation dans les pays du Pacte de Varsovie, même si son point d’aboutissement est encore incertain, entraîne inévitablement à l’Ouest une interrogation sur le devenir des appareils militaires. En France, certains ont choisi de porter le débat sur le point à la fois particulier et central de la conscription. Les lignes qui suivent ne sont pas une réponse à ces propos. Elles ont pour seule ambition de fournir aux lecteurs de la revue les éléments de fait que toute solution devra prendre en compte sauf à verser dans l’utopie ou l’incohérence. On constatera toutefois que le champ du possible reste ouvert.

Coup d’œil en arrière et à côté

Avant d’examiner la situation actuelle de la conscription dans notre pays et ses évolutions possibles, il n’est pas mauvais de la relativiser dans le temps et l’espace ⁽¹⁾.

La conscription telle que nous la connaissons aujourd’hui a un siècle en France, sa forme achevée ne datant même que de 1905. Certes, la Révolution l’avait imaginée ; d’abord par la levée en masse en 1793 des célibataires et veufs de 18 à 25 ans : la moitié environ rejoignent, ce qui permet de porter les effectifs au chiffre jamais vu de 800 000 hommes, mais dans l’inégalité et le désordre. La loi Jourdan de 1798, souvent présentée comme le fondement de la conscription, n’a pas été vraiment appliquée, le tirage au sort et le remplacement, qui vont persister soixante-dix ans, étant établis dès 1799. Au demeurant, la résistance à la conscription est forte. Les désertions sont nombreuses : à la fin de l’Empire, environ 160 000 déserteurs se cachent dans les campagnes françaises. En abolissant la conscription, la charte de la Restauration va dans le sens demandé par l’opinion. En 1872, « Monsieur » Thiers affirme encore, pour s’opposer au service obligatoire pour tous, qu’« il faut reconnaître les empêchements, les impossibilités de servir : celui-ci, c’est sa santé ; celui-là, ce sont ses intérêts ».