Il est vrai que les événements survenus en Europe de l'Est masquent presque totalement tout ce qui a lieu « ailleurs » dans le monde. En particulier, il est avéré que les éternelles questions du Proche-Orient sont passées au second plan, et pourtant !… C'est pourquoi il est intéressant d'être informé de la situation au Koweït : elle présente effectivement quelque risque, bien qu'on en fasse peu état, mais la richesse de ce pays et de ses habitants participe avec une efficacité certaine à sa sécurité.
Le vent de la démocratie souffle aussi sur le Koweït
L’attention du monde, en ce mois de décembre 1989, était trop accaparée par les événements de Roumanie et la chute de Nicolae Ceausescu, pour se laisser distraire par ce qui se passait au même moment à des milliers de kilomètres de là, dans l’émirat du Koweït. Depuis plusieurs mois, une fraction non négligeable de l’élite koweïtienne revendiquait haut et fort le retour à la vie parlementaire suspendue par l’émir trois ans auparavant. Une pétition portant plus de 25 000 signatures avait été rejetée par le souverain. C’est alors qu’intervint le renversement du dictateur roumain. Les journaux du Koweït, dont la liberté de ton est demeurée surprenante en dépit de l’imposition de la censure en 1986, saisirent l’occasion : dans un éditorial publié en première page d’al Siyassah, son directeur, Ahmed Jarallah n’hésita pas à écrire que de nombreux dirigeants au Proche-Orient ont pillé la richesse de leur nation et placé les gouvernants et leurs familles au-dessus des lois. Et Jarallah d’enfoncer le clou : « Il semble bien que l’heure du châtiment est arrivée. Le tableau qu’offre la Roumanie est pénible, mais il constitue un avertissement pour ceux qui savent prendre garde ». La contagion est-européenne gagnait la péninsule Arabique.
1986 : la dissolution du Parlement
Le 3 juillet 1986, au plus fort du conflit irako-iranien, l’émir du Koweït, Cheikh Jaber al-Ahmed al-Sabah, intervint à la télévision à l’heure du dîner pour annoncer la dissolution du Parlement, la suspension de certains articles de la Constitution et l’instauration de la censure. Il réaffirma néanmoins son attachement au parlementarisme, mais, insista-t-il, « la vraie démocratie découle des principes de la choura (1) ». Depuis plusieurs mois, en effet, la crise couvait. Les parlementaires élus un an plus tôt prenaient leur tâche très à cœur : trop sans doute, au gré de la famille royale et des États voisins. Le ministre de la Justice, Cheikh Duaij, membre de la famille régnante, avait été acculé à la démission après avoir comparu devant l’Assemblée. Celle-ci lui reprochait d’être intervenu en faveur de son fils compromis dans une faillite boursière. À l’époque de sa dissolution, l’Assemblée s’attaquait au tout-puissant ministre du Pétrole, Cheikh Ali Khalifa, rendu responsable de la ruineuse acquisition de la compagnie pétrolière américaine Santa Fe. La menace devenait donc sérieuse pour la famille des al-Sabah. S’ajoutait à cela la mise en cause répétée par les députés de régimes voisins, Iran, Irak ou Syrie. Quant à l’Arabie Saoudite, elle n’avait jamais admis la présence à ses frontières d’une démocratie parlementaire n’hésitant pas à mettre en cause les gouvernants en place. Cet exemple, fâcheux pour les monarchies voisines, devait prendre fin, Ryad l’avait fait savoir avec insistance à l’émir du Koweït. Cependant, c’est sans aucun doute la guerre irako-iranienne qui a été le facteur déterminant.
En février 1986, alors que le Koweït célébrait le vingt-cinquième anniversaire de son indépendance, les soldats iraniens traversaient le Chatt al-Arab, prenaient pied à Fao et saluaient « leur nouveau voisin, le Koweït ». Pour sa part, l’Irak exigeait que soit mise à la disposition de son armée l’île de Boubiyan, sans avoir pour autant renoncé à en disputer la possession au Koweït. La situation devenait dangereuse. Des attentats inspirés ici par l’Iran, là par la Syrie ou l’Irak, secouaient périodiquement l’émirat. La liberté de ton de certains députés relevait de l’inconscience, estima l’émir, qui résolut de dissoudre l’Assemblée.
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