L'auteur, spécialiste du Sud-Est asiatique, nous présente une synthèse très complète de la situation dans laquelle se trouve l'Indonésie, État que notre revue n'a pas évoqué depuis quelque temps. À son titre, on pourrait ajouter « capacités », car elles sont fort importantes, à condition bien évidemment que les hommes soient raisonnables.
Indonésie : ambitions et faiblesses
L’Indonésie espérait pouvoir peser lourdement sur la scène internationale en prétendant contribuer au règlement du problème cambodgien et en postulant à la présidence du mouvement des Non-alignés. Mais aujourd’hui ses déboires diplomatiques se conjuguent avec le déclin de son importance dans les nouveaux concepts stratégiques des États-Unis et de l’URSS en Asie-Pacifique, dans lesquels elle joue un rôle plus que mineur. Dans le même temps, ses succès économiques indéniables attirent sur elle de nouveaux regards. Ses atteintes aux droits de l’homme, hier ignorés, sont maintenant montés en épingle, ce qui nuit gravement au prestige qu’elle recherche. À l’intérieur, les nouvelles générations, si elles reconnaissent les mérites incontestables du président Suharto, souhaitent une plus grande démocratisation du régime. L’Indonésie paie le prix de son succès. Passant de la misère totale à une toute relative mais quand même bien réelle prospérité, elle ne peut plus demeurer figée dans le cadre de ses anciennes institutions. Elle doit faire sa transition avec réalisme et des ambitions plus mesurées, en tenant compte des réalités internationales aussi bien que du désir de changement de la population.
Une politique étrangère ambitieuse mais erratique
L’Indonésie a, dès l’époque Sukarno, eu l’aspiration d’être le « phare » de l’Afrique et de l’Asie, et cette ambition atteignit son apogée lors de la Conférence de Bandoung en avril 1955. Les événements du 30 septembre 1965 (1) et l’abîme dans lequel le pays tomba empêchèrent ensuite la poursuite de ce projet, mais qui n’était pas, bien loin de là, abandonné. L’Indonésie se consacra d’abord à panser ses plaies puis s’aligna sur l’ANSEA (2). Le point de départ de son renouveau peut se situer en mai 1980 lorsque Benny Murdani (3), en tant qu’envoyé spécial du président Suharto, se rend à Hanoi. C’est la rupture avec l’ANSEA et avec son alliance avec la Chine dirigée contre le Vietnam et mise en place par la Thaïlande et Singapour. L’Indonésie, vaguement soutenue par la Malaisie, prône au contraire le rapprochement avec le bloc URSS-Vietnam pour contrer l’expansionnisme de Pékin auquel elle croit toujours très fermement. Elle affirme sans modestie sa meilleure compréhension des questions diplomatiques et stratégiques en Asie-Pacifique et prétend au leadership de l’ANSEA, ce que ses partenaires lui refusent.
En 1985, c’est le tournant, après lequel le « phare » va prendre des allures de clignotant déréglé, car sa politique étrangère va rassembler toutes les contradictions possibles jusqu’à l’incohérence. Dès janvier, débutent très discrètement à Singapour des contacts avec Pékin pour reprendre des relations « gelées » mais non rompues en 1967. Cette approche se concrétise le 5 juillet, à Singapour encore, par la signature d’un mémorandum officialisant la reprise des relations commerciales qui se pratiquaient déjà, mais illégalement, via Hong Kong. Cette ligne est rejetée par Benny et les militaires. Puis, en septembre, sans crainte de paradoxe, Suharto se rend en Roumanie et Hongrie. Entre-temps, en avril, s’était tenu le 30e anniversaire de Bandoung, voulu brillant, mais plutôt pâlichon aussi bien par le nombre que par la qualité des invités. Malgré tout, l’Indonésie évoque la « grandeur » de son passé et parle de quitter l’ANSEA, fardeau qui lui impose des obligations et des limites dans sa vaste vision diplomatique. Singapour, pourtant intermédiaire bien utile, n’est qu’une ville-État-port pas plus grande qu’un îlot de l’archipel. La Malaisie, la seule à la soutenir, se voit qualifiée d’inconséquente et inconstante. Quant à la Thaïlande, elle n’est plus qu’un dominion de Pékin ; les Philippines sont irrémédiablement condamnées à la décadence et Brunei n’est que la propriété privée d’un sultan.
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