Il convient de souligner que l’article suivant a été signé le 1er août, c’est-à-dire le lendemain du jour où venait d’être conclu à Moscou entre les États-Unis et l’Union Soviétique l’accord sur la réduction de leurs armements nucléaires stratégiques, et un peu plus de deux semaines avant le « putsch » du Kremlin qui allait entraîner l’« éclatement » de cette Union Soviétique. Il en résulte que, comme beaucoup de ce qui a été écrit depuis la chute du mur de Berlin, son analyse pourra paraître déjà quelque peu anachronique. C’est le cas, en particulier, quand il met l’accent sur les conséquences que pourrait avoir sur notre politique de dissuasion le processus de désarmement nucléaire alors entamé, puisqu’on ne sait plus maintenant qui à l’Est est responsable des engagements ainsi pris. Il soulève par contre un problème qui était à l’époque minimisé, mais dont tout le monde reconnaît maintenant la gravité, celui de la sûreté et du contrôle des armes nucléaires dans une Union Soviétique « éclatée ».
Quel avenir pour la dissuasion nucléaire française ?
À l’issue des recherches approfondies que nous venons d’effectuer pour reconstituer l’histoire de la dissuasion nucléaire française, un constat s’est imposé à nous, celui de la continuité de la politique suivie en la matière par tous nos gouvernements depuis les débuts de notre aventure atomique.
On ne peut en effet manquer d’être frappé par la volonté tenace, bien qu’elle soit restée discrète, qu’ont montrée certains hommes d’État éclairés de la IVe République pour que notre pays accède très vite au rang de puissance nucléaire. Cette volonté s’est manifestée officiellement ensuite avec toute l’autorité dont était capable le général de Gaulle, afin que nous nous dotions au plus tôt d’une force de dissuasion indépendante. Et elle s’est poursuivie après avec la même ténacité, sous les trois présidents de la République qui lui ont succédé, pour que nous développions et modernisions nos forces nucléaires au fur et à mesure des progrès de la technique. L’objectif visé de la sorte nous paraît avoir été avant tout politique : accéder à la table des Grands et permettre ainsi à la France de « tenir son rang », c’est-à-dire de continuer à peser dans les affaires du monde, comme l’y invite l’Histoire.
Nos recherches nous ont montré par ailleurs que la même continuité tenace a présidé à l’élaboration d’une stratégie de dissuasion qui soit proprement nationale, c’est-à-dire étroitement adaptée aux ambitions et aux capacités de la puissance moyenne que nous avions conscience d’être devenus, mais qui entend néanmoins conserver son entière autonomie de décision dans les domaines de sa souveraineté et de sa sécurité. La conséquence en a été que les doctrines ainsi mises au point, très vite et n’ayant guère évolué depuis pour le niveau stratégique, progressivement et après quelques tâtonnements pour le niveau tactique, sont tout à fait originales par rapport à celles des autres puissances nucléaires. Elles ont en effet, elles aussi, un objectif essentiellement politique, en ne prenant en compte que nos intérêts vitaux, et en refusant d’emblée tout processus d’escalade vers la guerre, qu’elle soit conventionnelle ou nucléaire. Ces spécificités de notre stratégie de dissuasion sont sans doute à la base du consensus national qui l’entoure depuis près de quinze ans, et que, malgré ses ambiguïtés, nous envient tant nos partenaires de l’Alliance atlantique, comme personnellement nous l’avons souvent constaté lors de nos contacts à l’étranger. Mais elles sont aussi à l’origine des difficultés qui n’ont cessé de se manifester pour coopérer avec eux sur le plan militaire.
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