En février 1992, nous avions publié les actes de notre colloque sur la condition militaire, auquel l'auteur, contrôleur général des armées, avait apporté sa participation par une étude prospective fort pertinente. S’étant toujours passionné pour les questions de personnels, ayant dans ce domaine approfondi les conséquences des réductions d’effectifs, en particulier dans l’Armée de terre, il nous livre ses réflexions sur ce sujet : il nous montre les voies à suivre si nous voulons assurer l’existence permanente de forces opérationnelles d’un volume significatif, aptes à intervenir avec succès, conformément aux missions définies par le gouvernement.
Défense : la question des effectifs
Dans les débats tournant autour de la programmation militaire comme dans les discussions annuelles pour la fixation du budget de la défense, la question des effectifs, pourtant fondamentale, n’est traitée le plus souvent que de façon implicite ou accessoire, parfois comme la variable d’ajustement permettant de parvenir au dernier moment aux équilibres financiers souhaités. Cette façon de faire ne permet pas d’aboutir à des choix rationnels. Un exemple le montrera : la suppression de quelque 1 700 emplois de militaires du rang engagés dans l’armée de terre en 1992, alors que l’on avait conclu de l’affaire irakienne qu’il fallait disposer de plus d’unités professionnalisées.
Réduire les rangs des professionnels a conduit la hiérarchie militaire, bien malgré elle, à ne pas rengager — en français « ordinaire » : à licencier — des hommes que, quelques mois auparavant, on décorait pour leur courage et que l’on trouvait trop peu nombreux. Plus généralement, l’incertitude permanente pesant sur les effectifs risque de conduire à de graves dysfonctionnements : une partie des meilleurs éléments profitera de toute occasion pour quitter une carrière aussi menacée, le recrutement devenant parallèlement de plus en plus difficile. À terme, le résultat peut être franchement dangereux pour la sécurité du pays, avec des armées diminuées qualitativement plus encore que quantitativement.
On propose ici d’essayer de mettre un peu de rationalité dans cette question des effectifs. Il ne s’agit pas, bien sûr, de nier que, l’époque changeant, des réductions ne soient pas possibles ni souhaitables, mais encore faut-il les accomplir de telle sorte que le « système d’hommes » que constitue chaque armée n’en soit pas fragilisé. Pour être aussi clair que possible, nous avons choisi l’exemple de l’armée de terre dans l’hypothèse, fréquemment évoquée, de sa réduction aux environs de 220 à 230 000 militaires, soit un cinquième de moins que son niveau de 1991. Cet exemple est le plus intéressant dans la mesure où la réduction prévue sera très probablement moins forte, voire beaucoup moins forte, dans les autres armées. Nous essaierons de répondre successivement aux questions mettant en cause le volume total et la répartition des effectifs.
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