À travers les livres - Fukuyama : fin de l'histoire ou fin de tout ?
À l’été 1989, Francis Fukuyama, jeune chercheur à la Rand Corporation (il a alors 36 ans), publie sous le titre « La fin de l’histoire ? » un article dans The National Interest, revue américaine qui ne tire qu’à quelques milliers d’exemplaires. Cette modeste entrée en scène eut un énorme retentissement. L’article fut reproduit dans le monde entier, et en France dès l’automne dans le n° 47 de la revue Commentaire. Il déclencha des polémiques passionnées. Quelques rares louanges surnagèrent dans un flot de critiques hargneuses. C’est que la fin de l’histoire, avant de mettre le monde en panne, laisserait au bord de la route beaucoup de gens dont le métier est de la faire, de l’écrire ou de la commenter.
Désireux de se justifier, notre Nippo-Américain, devenu entre-temps sous-directeur au département d’État, écrit un gros livre destiné à montrer que l’auteur n’est pas un rigolo, encore que l’humour ne lui manque pas, et qu’on ferait bien de méditer sa thèse (1). Pourtant, ébranlé sans doute par la violence des attaques dont il a été l’objet, il y insiste beaucoup sur l’interrogation qui ponctuait son premier titre. Cette prudence ne suffira pas à désarmer ses contradicteurs, repartis de plus belle à l’attaque. Avant de proposer, hardiment, notre arbitrage entre le trublion et ceux qu’il dérange, résumons les arguments de celui-ci.
Pères fondateurs
Kant, Hegel, Tocqueville, Nietzsche, Kojève (2) Fukuyama ne prétend pas, dans sa modestie sympathique teintée de naïveté américaine, prolonger la prestigieuse lignée, mais il chemine à l’ombre de ces géants et dit que l’on sait aujourd’hui qu’ils avaient bien raison la fin de l’histoire, qu’ils annonçaient, nous y sommes. Les catastrophes qui ont affligé notre XXe siècle avaient ridiculisé leurs prophéties ? Nationalisme, stalinisme, hitlérisme n’étaient qu’avatars terminaux, derniers sursauts de la fougueuse cavale, qui agonise sur la ligne d’arrivée. Il est donc opportun de rouvrir un débat qu’on avait occulté, de dresser constat… et de s’interroger sur la suite.
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