Les données de la politique extérieure
Lorsqu’on affirme, comme on vient de le faire, que désormais le monde sera américain, il conviendrait d’ajouter : ou ne sera pas, car la perspective d’un chaos général ne peut être totalement exclue. Il ne faut pas oublier non plus que Clinton a été élu parce qu’il se démarquait fondamentalement de son prédécesseur sur la priorité que celui-ci accordait à la politique étrangère. Son slogan était : « America first » ; et il avait dans son quartier général un grand calicot sur lequel était écrit : « The economy stupid! », ce qui visait évidemment George Bush. Ce dernier avait en effet donné au maximum dans ce que le colonel House, qui avait été un peu le Kissinger du président Wilson, appelait le passe-temps favori des monarques fatigués, à savoir la politique étrangère. Pour le moment, les Américains pensent que celle-ci doit passer après leurs propres intérêts et l’un des candidats oubliés à la Maison-Blanche, Pat Buchanan, avait eu cette phrase assez forte : « M. Bush devrait s’occuper des femmes qui se font tabasser à mort en promenant leur chien dans Central Park avant de se soucier des Kurdes ». Cet état d’esprit est assez représentatif de l’opinion américaine, et mutatis mutandis, on pourrait d’ailleurs en dire à peu près autant des Français.
Clinton est donc arrivé dans cette perspective, ce qui le plaçait dans une position fort bien définie par Brzezinski dans un colloque, quelques semaines avant son entrée en fonction : « La seule chance du nouveau président (sa seule chance d’être réélu dans quatre ans) est de réussir ce que Johnson aurait voulu faire et à quoi il n’est pas arrivé », c’est-à-dire d’être un président se consacrant en priorité à l’économie, compte tenu de l’état de dégradation fantastique où elle se trouve. Les États-Unis sont aujourd’hui le pays le plus endetté du monde et le service de la dette est en passe de devenir le premier poste du budget. Brzezinski considérait que pour ce faire il faudrait que le nouveau président soit à l’abri d’un bouclier le protégeant des sollicitations de l’extérieur. Or celles-ci sont intenses pour tout homme arrivant à un tel poste ! Clinton allait-il pouvoir résister à la tentation ? Constatons que depuis deux mois qu’il est à la Maison-Blanche il semble y avoir assez bien réussi. Il s’est gardé de toute déclaration tonitruante sur la politique étrangère, il s’est écoulé des semaines avant qu’il s’entretienne avec John Major ou François Mitterrand, de sorte qu’il apparaît que celle-ci n’est pas sa priorité. En plus, il sait demeurer calme, il ne s’est jamais mis en situation d’avoir à se rétracter publiquement ou de subir une escalade pouvant devenir dangereuse. Il met beaucoup en avant son secrétaire d’État, Warren Christopher, qui s’implique notamment dans le processus de paix au Proche-Orient. Puis, il est fort habile à court-circuiter la presse : il préfère aller directement au public, soit dans les usines, les campagnes, où il rencontre des gens sans avoir à répondre à des interviews ou des conférences de presse ; lorsqu’il passe à la télévision c’est pour faire des exposés dans le style des causeries au coin du feu de F. D. Roosevelt : il n’a pas de contradicteur face à lui, personne pour lui poser des questions embarrassantes. C’est là une grande habileté de sa part.
Il voyage et ostensiblement il donne la priorité à son programme de redressement économique, un programme audacieux qu’il fait connaître sur place avec quelque talent. Non seulement il a du charme, de la conviction, mais il a encore de la chance ; j’en veux pour preuve l’attentat contre le World Trade Center : la police a pu récupérer une partie du châssis de la voiture et remonter aux auteurs présumés, prouvant ainsi l’efficacité des institutions.
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