Discours de Monsieur François Léotard, ministre d'État et ministre de la Défense, le 8 septembre 1993, devant les auditeurs du Centre des hautes études de l'armement.
La rationalisation de l'industrie de défense
Vous êtes réunis pour répondre à l’une des questions les plus lancinantes et les plus pertinentes de cette fin de siècle, l’une des plus riches, aussi, pour l’esprit comme pour l’action : lier la défense à l’armement, est-ce la réduire ? Lier ce couple-là, dont nous connaissons la force et la pérennité tout au long de l’histoire, au bouleversement qui nous entoure, c’est bien là l’un des enjeux majeurs de notre époque, l’un des plus grands défis pour notre pays.
On ne peut concevoir une politique de défense et de sécurité sans réfléchir, au préalable, à ce que doit être la base industrielle de cette politique. Une industrie de défense performante et novatrice doit permettre à nos forces armées de disposer des matériels que les nouvelles crises, malgré et après la fin de la guerre froide, lui imposent d’avoir. Cette industrie est aussi la marque de la volonté de la France d’aider ses amis et alliés à assurer leur défense, dans le respect légitime de ces pays vis-à-vis du choix de leur armement.
À ce titre, l’industrie de défense est bel et bien stratégique. Il est inutile de démontrer son poids économique : le nombre d’actifs qu’elle emploie, l’apport essentiel au commerce extérieur, les retombées civiles de la recherche militaire en témoignent ; mais, par un paradoxe singulier, elle conditionne aussi, dans une large mesure, la politique militaire. Il n’est pas fréquent pour moi de citer Karl Marx ; toutefois, avec un clin d’œil, je le fais devant vous : « L’influence d’un stratège de génie est moins grande que celle d’une arme nouvelle ». Le nucléaire a amplement illustré cette réalité, puisqu’il est l’exemple parfait d’un outil devenant la source d’une doctrine et d’un instrument politique.
C’est un fait qu’il nous faut avoir présent à l’esprit : votre réflexion s’exerce dans un ensemble de contraintes particulièrement lourdes. Elles sont d’ordre technique, budgétaire, financier, industriel et, bien entendu, humain. De votre réflexion dépend la conception, l’adaptation, la mutation de l’outil industriel de la défense : c’est dire qu’au milieu des contraintes peut et doit s’imposer l’esprit d’initiative, le goût de la recherche au service d’un outil qui, demain, pourrait être lui-même à l’origine d’une pensée nouvelle.
Il est vrai que la baisse des dépenses militaires d’investissement (les exemples allemand et anglais le prouvent) comme le contexte général de récession économique rendent indispensable une rationalisation de l’industrie de défense. Elle est déjà bien engagée ; elle va bien au-delà de notre pays.
Cette mutation essentielle devra s’effectuer tant du côté de la demande, par le développement d’instances européennes, que de l’offre, par la réorganisation des structures industrielles. Le thème de votre session « Défense et armement : mutation ou adaptation ? » m’amène donc à vous proposer quelques réflexions.
La naissance d’une Europe de l’armement
Du côté de la demande, je suis frappé par la manière dont le thème des « dividendes de la paix » s’est imposé. Selon ses tenants l’écroulement de la Russie soviétique — à commencer par son glacis protecteur d’États satellites —, le développement prétendu inévitable de la démocratie à l’échelle mondiale, l’extension du libéralisme économique justifieraient la baisse des dépenses de défense et de sécurité.
L’attribuer à des « dividendes de la paix » est cependant un double contresens, à la fois sémantique et historique. Sémantique, d’abord : que sont les dividendes, sinon un bénéfice qui résulte d’un investissement ? La paix est donc le dividende des investissements que les nations du monde libre ont consacrés à leur défense. Il n’y a pas à proprement parler de dividende de la paix, il y a des dividendes de l’effort ; et ceux-là doivent être aussitôt réinvestis. La défense, c’est donc bien le prix de la liberté. Ensuite, parce que chaque jour qui passe, en Bosnie ou ailleurs, des conflits meurtriers et multiples nous imposent de réfléchir à notre capacité à prévenir, à contenir, à intervenir. Il y aurait donc un grave risque à se lancer dans un « désarmement budgétaire » : risque pour notre pays, risque pour la paix elle-même puisqu’aussi bien, hélas ! l’histoire de l’homme est aussi l’histoire de sa violence.
Votre réflexion est donc utile pour la France, c’est-à-dire tout autant pour l’État que pour les citoyens, tout autant pour les entreprises elles-mêmes que pour les salariés qui les animent. Pour celles-ci, les marchés extérieurs de la grande exportation, source traditionnelle de commandes supplémentaires, sont un relais de plus en plus difficile, pour des raisons que vous connaissez bien et qui s’appellent notamment guerre des monnaies, exaspération de la concurrence, batailles commerciales.
L’apparition de nouveaux pays producteurs, la grande braderie des armements de l’ex-empire soviétique, la présence croissante des industries occidentales et américaines sur les marchés à l’exportation, les difficultés des acheteurs traditionnels contribuent à assombrir le paysage. Les marges sont réduites par la concurrence ; les compensations se multiplient ; les problèmes de financement demeurent.
La construction européenne est devenue un paramètre important de la réflexion. Certes, des tensions en Europe et hors d’Europe la malmènent rudement. C’est vrai, certaines modalités de la construction que nous avons engagée depuis trente-cinq ans prêtent à discussion. Cependant, un élément fort se dégage : l’Europe apparaît comme le cadre naturel de l’harmonisation de la demande en équipement militaire.
Des institutions existent : l’Union de l’Europe occidentale, le Groupement européen industriel de programmes, l’Alliance atlantique. Il est vrai que leur champ de compétence ne permet pas encore de parler de l’« Europe de l’armement » stricto sensu. Les accords de Maastricht, qui prévoient la mise en place d’une politique étrangère et de sécurité commune (PESC) et la création d’une Agence européenne des armements sont la preuve d’une volonté commune fortement affirmée. L’absence d’une véritable Europe politique rend l’exercice cependant difficile ; les risques, les ambitions, les intérêts des États européens sont loin d’être harmonisés ; il n’empêche que notre devoir, si nous voulons bien entendre l’appel de notre mémoire, est bien d’aller dans le sens d’un continent plus solidaire.
Toute coopération dans les armements présuppose un rapprochement des besoins opérationnels et des doctrines d’emploi. De même, la création d’instances européennes effectives et efficaces dans ce domaine passe par des transferts de souveraineté et le développement de nouveaux processus de décision.
Au plan industriel, la question posée est celle de la spécialisation ou du maintien des compétences. Le passage d’un point de vue strictement national à une perspective réellement européenne permet de faire évoluer les choses ; non qu’on doive aboutir, nécessairement, à un véritable « marché » de l’armement — ce n’est d’ailleurs pas un marché comme les autres —, mais que les procédures d’achats croisés, les coopérations se développent en nombre plus important qu’aujourd’hui.
Mesurons les chemins parcourus depuis vingt-cinq ans. Les programmes en coopération se sont multipliés. Les industriels, les états-majors, les services ont pris l’habitude de travailler en commun. Au-delà des avantages purement opérationnels (je pense au développement de ce qu’on appelle l’interopérabilité), on évite de plus en plus la duplication des efforts techniques, technologiques, financiers ; c’est aussi un moyen efficace d’échapper au carcan des réductions budgétaires.
La coopération est un impératif ; mais nous voyons bien, en période de récession, qu’elle demeure fragile et que les tentations sont grandes, chez les partenaires, d’y renoncer. Ne négligeons pas, pour la renforcer, les projets de taille plus modeste, compléments possibles des programmes plus ambitieux. Il convient, cependant, d’être attentif à ce que les opérations conduites se traduisent par des coûts moindres pour le client final : ainsi en est-il des développements, pour lesquels on ne surchargera pas les programmes, en évitant les excès de dépenses administratives et en n’acceptant qu’à bon escient les duplications.
Les États-Unis ont désormais un statut très exceptionnel. Ils peuvent être tentés de capitaliser sur les difficultés de l’équilibre européen. Ils font preuve souvent d’agressivité commerciale sur les marchés tiers, soutenus fermement par leur gouvernement. L’« effet dollar », leur protectionnisme, le déséquilibre notable du commerce transatlantique des armements au profit de Washington, une désillusion croissante des industriels européens quant aux perspectives de la coopération euro-américaine : le climat est singulièrement troublé.
Encore faut-il noter que les subventions du gouvernement américain à l’industrie d’armement, dans le cas de produits nouveaux, peuvent aller à des sociétés à 50 % de capitaux étrangers. Soyons donc de bons concurrents, mais restons aussi ouverts aux perspectives de coopérations. Enfin, qui ne voit que les États-Unis peuvent jouer le rôle d’aiguillon pour qu’ait lieu et que prenne corps, au moins, en Europe et entre Européens, une réflexion commune ?
Dans ce contexte, l’étude des mutations et des adaptations de l’industrie de l’armement passera, j’en suis convaincu, par l’élaboration d’une « préférence européenne » qui pourrait favoriser elle-même la naissance d’une Europe de l’armement. Peut-être aussi faudra-t-il aboutir à la mise au point d’un « code de bonne conduite » européen ? Autant de questions sur lesquelles vous allez, au cours de cette session, réfléchir.
La réorganisation de l’industrie de défense
Le rapprochement et la rationalisation de l’offre sont déjà largement engagés ; les industriels ont quelquefois montré le chemin. La DGA est un acteur essentiel du chemin parcouru ; je l’ai déjà incitée très vivement, lors de la clôture de la 29e session du Chéar en juin dernier, à élaborer une véritable stratégie industrielle de la défense. À cette évolution industrielle, sur laquelle je reviendrai plus loin, doit correspondre une organisation différente de la DGA. Un travail approfondi et intéressant a déjà été conduit, à la diligence du délégué général pour l’armement que je remercie. J’en tire la conviction qu’une réforme est indispensable.
Chacun d’entre vous sait bien que nous sommes entrés dans un monde incertain. Dans cette période plus troublée, une réflexion large, qui nous permette de dégager de grandes tendances, est nécessaire pour orienter notre action : il s’agit de l’exercice du Livre blanc. Les réflexions sur l’organisation et l’avenir de la DGA doivent naturellement se poursuivre, en cohérence avec les travaux du Livre blanc. Les orientations qui se dégageront de ces travaux seront en effet déterminantes pour définir les formes d’organisation les plus adaptées aux défis industriels et techniques auxquels devront répondre l’industrie de défense et donc la DGA.
J’ai parlé de stratégie industrielle de la défense. On comprend bien que la mise en ordre de notre outil industriel national en est le préalable indispensable, à partir de quelques pôles d’excellence. Cette réorganisation pourrait parfois conduire, dans des domaines spécifiques comme ceux des équipementiers, à ne conserver qu’un seul opérateur national, dans les cas où cela serait nécessaire pour affronter de façon satisfaisante la concurrence extérieure. La transformation du Giat en société nationale devant rassembler autour d’elle la majeure partie de l’industrie des armements terrestres et la réforme amorcée de l’organisation de la DCN, vont par exemple dans ce sens.
Les quelques remarques qui vont suivre portent sur l’impérieuse nécessité d’une rationalisation économique de notre outil industriel de la défense. Nous pouvons éprouver une légitime fierté lorsqu’on observe les réalisations remarquables et la maîtrise des technologies auxquelles sont parvenues nos entreprises de défense. De l’acoustique sous-marine à l’observation spatiale, en passant par les radars multicibles, la technologie des missiles ou de la propulsion (comme le statoréacteur), tous les secteurs révèlent les exceptionnelles capacités de nos laboratoires, de nos centres de recherche et bien entendu des hommes qui les animent.
Cependant, chacun voit et chacun sait, ici, qu’il y a encore des progrès de productivité à rechercher et qu’il convient de se rapprocher des usages en cours dans les activités civiles performantes pour améliorer encore la maîtrise des coûts des programmes d’armement. L’investissement et l’objectif : tels sont les maîtres mots de notre stratégie industrielle de la défense. J’y viens à présent.
Plus encore que la fin de la guerre froide, c’est la période de récession sans précédent dans laquelle nous sommes entrés qui nous impose de rationaliser l’outil — et les dépenses —, comme c’est le cas partout dans le monde. Songeons que les pays européens membres de l’Alliance atlantique disposent de près de 700 centres de production d’armement, alors que les États-Unis en ont environ 250 pour un chiffre d’affaires trois fois supérieur à celui de l’industrie européenne ! Autant comprendre dès maintenant que la rationalisation est indispensable et qu’elle ne saurait se faire en se repliant sur soi.
Cela posé, l’exercice est — vous le savez comme moi — difficile. Les termes de « rationalisation » ou de « reconversion » signifient, avant tout, recherche de l’équilibre et de l’efficacité. Ils supposent de déterminer les domaines d’activité et les fonctions susceptibles de constituer des pôles d’excellence. L’objectif est de réaliser de nouveaux produits avec un coût de recherche, de développement et de production inférieur à celui qu’aurait supporté le même appareil industriel avant l’exercice de rationalisation.
Les restructurations industrielles qui sont devant nous ont d’abord — c’est une évidence — des conséquences en termes d’emploi ; mais les difficultés économiques que nous vivons ont aussi une dimension financière. Les industriels de l’armement, plus que l’État, ne sauraient se désintéresser ni d’un aspect, ni de l’autre.
Autant dire qu’une conversion industrielle bien comprise, tenant compte des emplois perdus par les restructurations que j’ai citées, doit aboutir à créer d’autres emplois qui viendront prendre la place de ceux qui auront été détruits. Une voie doit contribuer à atteindre cet objectif ; nous disposons en effet d’une formidable richesse technologique, probablement sans équivalent ailleurs dans l’industrie : si l’industrie d’armement produit 5 % du PIB de l’industrie du pays, elle concentre 30 % de la recherche et développement de l’ensemble du secteur industriel. C’est un chiffre sans équivalent, ailleurs. Voilà bien un réservoir technologique prêt à développer des activités à partir d’activités militaires, dans l’intérêt de l’emploi et dans le souci de l’équilibre du territoire. C’est un complément indispensable à la restructuration du capital, qui demeure au cœur du dispositif.
Je reconnais cependant que la notion de rationalité économique ne s’impose pas si facilement dans le secteur qui nous concerne, parce que les armements ne sont pas des « objectifs économiques » comme les autres, parce que la sécurité du pays ne se limite pas à la seule recherche de la rentabilité et du profit. Nous sommes donc là dans un domaine qui échappe, à l’évidence, à la seule et unique loi de l’économie de marché.
La recherche de la sécurité est un acte de nature plus politique qu’économique : la seule lecture de votre programme de cours, de conférences, de séminaires le démontre, non sans pertinence. L’industrie de l’armement demeure, pour un pays, un des moyens privilégiés d’affirmation de la souveraineté nationale, dans le même temps que nous inscrivons pour ce qui nous concerne l’autonomie de notre défense dans une perspective européenne.
Pour assurer la crédibilité de sa volonté politique de défense, la France est le seul pays en Europe à avoir mis sur pied une industrie d’armement capable de développer à la fois des armes nucléaires, des sous-marins — et demain un porte-avions — à propulsion nucléaire, une vaste panoplie de missiles tactiques et stratégiques, des avions de combat et des chars de bataille. Ce sera demain l’Espace. Je vous le rappelle, ce sont aujourd’hui 96 programmes qui sont menés en parallèle par la France et donc par la DGA. Pourrons-nous — et de la même manière — les poursuivre tous ? C’est une question que vous devez vous poser, comme je me la pose moi-même.
Tout cela fut, et reste encore un élément de confiance dans nos capacités technologiques. Tout cela fut, et reste encore la belle aventure industrielle de la délégation ministérielle de l’armement, devenue par la suite délégation générale pour l’armement.
Il est d’ores et déjà évident que notre pays doit s’interroger pour savoir s’il pourra maintenir avec ses seuls moyens nationaux sa capacité à développer l’ensemble des systèmes nécessaires à sa sécurité. Il s’agit d’ailleurs, en fait, d’une interrogation dont les paramètres sont au nombre de trois : la préservation d’une indépendance nationale ; la participation à l’Europe de la défense ; le maintien des positions commerciales sur les marchés mondiaux.
En premier lieu, il faut affirmer avec force que les moyens industriels et technologiques directement liés à la dissuasion nucléaire doivent rester du domaine exclusif de la compétence nationale en les adaptant à la situation nouvelle. L’essentiel est de conserver notre savoir-faire, notre capacité de maintien technologique, même si l’on peut imaginer certains accords concernant la recherche en amont, à l’instar de ceux qui se mettent en place avec la Grande-Bretagne.
Deuxième remarque : rien ne s’oppose, dans les autres domaines de l’industrie de défense — l’aéronautique et l’Espace militaire, l’électronique et l’informatique de défense, l’armement terrestre et la construction navale classique —, aux mesures de rationalisation engagées en commun avec des partenaires étrangers.
J’y vois cependant deux conditions. La première est que l’appareil national ait, déjà, atteint un niveau de remise en ordre suffisant, dans l’ordre de la taille et dans celui des finances. Rien ne serait pire que de s’engager dans une rationalisation de l’offre d’armement pour coopérer avec des partenaires ayant, eux, pris de l’avance dans leur restructuration ! Deuxième condition : il faut que soient préservées les capacités commerciales et industrielles qui permettent un accès au marché suffisant pour financer l’activité spécifique de défense. Cela suppose d’encourager le développement de ces pôles d’excellence que nous connaissons : Aérospatiale, Dassault, la Snecma. Thomson-CSF, Matra, Eurocopter, Euromissiles, le Giat et la DCN, dans une logique d’économie industrielle.
Troisième remarque : la volonté des gouvernements européens de créer une Agence européenne de l’armement est une incitation précieuse et nécessaire, même si elle semble parfois lointaine, à la rationalisation des industries européennes, à condition que cette agence soit à même de jouer demain, en Europe, un rôle analogue à celui que la DGA a su mener en France en matière de politique industrielle.
Je cite quelques-uns de ces objectifs. Le premier consiste à favoriser l’apparition de « champions européens », qu’ils soient nationaux ou transnationaux, pôles d’excellence du marché européen dans chacun des secteurs de la défense. Le second, c’est de veiller au maintien d’un substratum européen de sous-traitants et de fournisseurs. Il s’agit, enfin, de préserver des conditions minimales de concurrence entre équipementiers en favorisant des alliances horizontales, c’est-à-dire entre des pôles nationaux, plutôt qu’en choisissant des alliances verticales trop intégrantes et trop lourdes.
À cette démarche qui rejoint très exactement les réflexions que vous aurez à mener lors de vos travaux, il convient d’ajouter, à l’évidence, deux dimensions essentielles. D’abord, celle qui consiste à hiérarchiser les priorités dans le temps. L’objectif final est bien la création d’une industrie de l’armement à l’échelle européenne ; mais l’étape initiale — j’allais dire fondatrice — consiste, je l’ai dit, à remettre à niveau notre propre outil industriel de la défense en préservant notre savoir-faire. Ensuite, il faut avoir présent à l’esprit le fait que si ce n’est pas l’armement qui crée l’unité, ni l’identité d’une politique de défense en Europe, quelques thèmes se dégagent qui convergent vers cet objectif.
On voit bien l’évolution nécessaire : conduire des développements avec une évolution optimale en termes de coûts et d’efficacité des bureaux d’études ; se rapprocher, chaque fois que c’est possible, des activités de production, pousser au maximum les opérations combinées en appliquant une logique de l’interopérabilité et en pratiquant l’interdépendance.
Une dernière remarque, véritablement capitale à mes yeux : l’objectif de tous les instants doit être, pour nos industriels, de proposer à nos armées les matériels qui les mettent en situation d’accomplir leur mission, en tous lieux, pour le succès des armes de la France.
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Il y a là, je crois, des thèmes sur lesquels vous pouvez beaucoup apporter à notre pays. Ainsi, on voit bien qu’en arrière-plan de notre réflexion commune se profile une interrogation majeure. Certaines activités relèvent d’un soutien total de l’État, parce que l’État client est le seul client. Certaines activités relèvent du secteur concurrentiel, même s’il s’agit de marchés « contraints » ; je pense à l’exportation, par exemple. Réfléchissez donc à la recherche des synergies possibles, dans tous les domaines ; je songe en premier lieu au caractère prioritaire de l’Espace.
Le thème retenu est un bon thème ; étudier l’industrie d’armement vous permettra de faire un travail qui, pour être utilisable, devra aller à l’essentiel, en posant, sans crainte, les questions les plus difficiles, en ayant la volonté aussi de parvenir à une synthèse qui soit lisible et forte. C’est, au fond, sur Bergson que nous pourrions prendre appui dans notre démarche : « La qualité est la quantité de demain », disait-il. Je souhaite que cette réflexion — qui est pleinement conforme au talent français — vous éclaire, vous stimule et si possible, vous engage. ♦