Correspondance - Vers les motos « silencieuses » de reconnaissance ?
J’ai lu, dans la Revue de Défense nationale, tous les articles concernant les chars, depuis ceux du commandant Argoud (avril 1952), en passant par ceux signés « trois étoiles » (avril 1952), jusqu’à celui du colonel Ailleret (novembre 1952). Il apparaît tout de même qu’à l’heure actuelle, tous les chars sont percés par les antichars, par les canons sans recul, par les bazookas, dont la précision augmente tous les jours, sans vouloir parler de la bombe atomique, sur laquelle l’article du mois de novembre donne toutes les précisions voulues. Mais dans tout ceci personne n’a songé, ou n’a voulu songer à la motocyclette pour la reconnaissance rapprochée, et même pour la découverte. Personne n’a songé aux facilités qu’elle offre en tout terrain, en un tout-terrain qui devient primordial, puisque les canons antichars sont en général sur les routes ou à proximité.
Nous allons d’abord parler des qualités qui sont indispensables à la moto pour bien remplir son office. Nous parlerons ensuite des side-cars, car il est bien évident qu’une moto toute seule peut reconnaître mais ne peut pas se défendre. Nous en arriverons à parler de l’équipement des hommes, pour terminer enfin par une forme de reconnaissance qui, au lieu de se faire de jour, pourrait s’effectuer à l’aube ou au crépuscule.
La moto devrait avoir les caractéristiques suivantes : être légère, avoir un cadre très bas (quoique élevé au-dessus de la route), être silencieuse. La légèreté de la moto est fonction des matières avec lesquelles elle est fabriquée. Elle devrait peser au maximum cent kilos, de façon qu’un « motard » n’ait pas toutes les peines du monde pour relever sa monture chaque fois qu’elle tombe. Il importe, encore, qu’une moto puisse se camoufler rapidement, dans un buisson, dans une cour de ferme, ou sous un appentis. Il faut aussi que la moto soit résistante, qu’elle possède tous les avantages de la Harley, en un métal plus léger, ou dans un nylon spécial.
Le panier du side serait en même « métal ».
Le passager serait couché sur le ventre en position de combat, avec à portée de sa main une mitrailleuse qui lui permettrait de tirer sans changer de place. Nous nous demandons même si on ne pourrait pas installer sur le panier un canon sans recul, qui permettrait avec l’appoint du conducteur d’un autre side (qui serait le side porte-munitions), de réaliser des tirs immédiats, ou presque.
Le cadre de la moto devrait être très bas, les roues de taille normale et convenablement striées pour être tout terrain. Elles seraient puissamment aidées par des roues cannelées, qui s’abaisseraient dans les passages difficiles ou dans la boue. Pour les passages dans l’eau, la moto serait munie d’un tuyau d’échappement auxiliaire, qui arriverait au milieu du dos du conducteur et se brancherait à volonté. La selle serait du modèle actuellement en service sur les motos civiles perfectionnées. Il faut comprendre par selle une espèce de bibendum très allongé, sur lequel le passager pourrait prendre deux positions. La position de route, dans laquelle le passager serait assis sur ce bibendum, la position de combat dans laquelle il serait couché sur ce même bibendum. Le cadre devrait être très au-dessus du sol pour faciliter les passages en tout terrain, qui seraient la règle normale au combat. Il serait bon sans doute de munir le cadre à sa partie inférieure, de petits roulements qui en jouant les uns sur les autres éviteraient un encrassage trop rapide de la part du terrain.
La moto doit être silencieuse, c’est là sans doute le plus difficile, car cela nécessite un moteur puissant, pour lui ajouter un silencieux aussi puissant que lui. Une moto qui peut progresser en silence jusqu’à proximité immédiate de l’ennemi, est difficile à toucher puisqu’on ne l’entend pratiquement pas, ou qu’on l’entend trop tard.
Légères, silencieuses, tout terrain, telles sont donc les caractéristiques de la moto militaire de demain. Il faut voir ce que porteront les hommes qui les chevaucheront.
Ils devront avoir des survêtements de plusieurs couleurs. Tout d’abord un chamarré, du type porté par les Allemands au cours de la dernière guerre. Ce survêtement serait solide, car c’est lui qui ferait le « plus campagne ». Il faudrait un survêtement imperméable, qui se rangerait dans une sacoche très plate. Il serait bon d’en avoir un blanc pour porter par temps de neige, un noir pour porter la nuit.
Ils seraient faits en nylon, et portés par-dessus l’uniforme. Ils affecteraient la forme d’une combinaison, mais seraient en deux pièces distinctes, quitte à avoir sur le bourgeron une sorte de « between », qui passerait entre les jambes pour éviter la sortie intempestive de ce même bourgeron.
Il faut déterminer maintenant quelle serait la tactique à adopter sur le terrain. La reconnaissance n’a pas changé depuis qu’elle existe, seuls, les moyens sont différents. Il y a cependant une chose qui prédomine, c’est la reconnaissance en tout terrain. Il est donc nécessaire et même indispensable de connaître parfaitement le terrain que nous allons parcourir. Il est très important de ce fait de posséder des photos aériennes récentes, d’étudier sa carte avec un soin jaloux et de ne s’embarquer pour l’accomplissement de sa mission, que lorsque tout le monde la connaît, depuis le chef de peloton jusqu’au deuxième classe inclus.
Étudier sa carte, c’est insister particulièrement sur les ruisseaux, les crêtes, les points remarquables du terrain. Il faut pouvoir d’un seul coup d’œil donner un nom à un village, ou à un bois important. Il est donc indispensable de disposer d’une carte en courbes, sur laquelle on crayonnera en marron, en allant du clair au foncé et des faibles altitudes aux plus élevées, une espèce de plan en relief qu’on pourra regarder debout, et voir tout de même le terrain que l’on aura à franchir, aussi bien à plat, qu’en descente ou en côtes. Étudier la carte, c’est au moins y passer une demi-journée. C’est faire répéter aux sous-officiers et aux « deuxièmes classes », car il y aura bien des « deuxièmes classes » chez les « motards » du futur, toutes les lignes du terrain qu’il franchit.
Il est évident que les principes énoncés plus haut sont des principes vieux comme le monde, que tout le monde les répète, mais que personne ne les applique.
La reconnaissance se fera avec des automitrailleuses ou avec des « jeeps », si tant est qu’on ait besoin longtemps d’en faire. C’est dans la reconnaissance à proximité immédiate de l’ennemi que les motos seront découplées. Une fois que le premier contact sera pris.
Un peloton devrait comprendre douze motos (sept solos et cinq sides), qui se décomposeraient comme suit : un chef de peloton, muni d’un poste radio à grande puissance, d’un solo et d’un side. Deux groupes de reconnaissance légère comprenant dans chaque groupe : un chef de groupe doté d’un poste radio et deux hommes ayant aussi un poste radio d’un modèle comparable au poste cinq cent trente-six. Ils auraient chacun une solo, un pistolet automatique pour le sous-officier, un pistolet-mitrailleur pour les hommes.
Le soutien, qui comporterait deux sides avec mitrailleuse, un side avec le canon sans recul, plus le side porte-munitions. Le conducteur du side porte-munitions remplirait les fonctions de chargeur du canon sans recul.
La tactique serait la même que pour un peloton de reconnaissance du type normal. Tous les renseignements positifs ou négatifs aboutiraient au chef de peloton, qui renseignerait d’abord le chef du sous-groupement ou du groupement, pour qu’il actionne ses différents éléments pour le mieux de la mission à lui confiée, puis son capitaine. Le blindage n’a plus qu’une valeur tout à fait relative, les éléments de la reconnaissance légère peuvent aussi bien s’en passer étant donné cette relativité. Cela présente sans doute quelques inconvénients, mais quant à être détruit, il vaut mieux l’être avec un matériel qui revient infiniment moins cher qu’une automitrailleuse, et qui doit normalement rendre dans la recherche du renseignement rapproché, et dans certains cas éloigné, les mêmes services pour ne pas dire plus. ♦