Politique et diplomatie - Le nettoyage ethnique
Le nettoyage ethnique couvre toute attitude, toute politique visant à regrouper sur un territoire donné une population posée comme homogène ; mais qu’est-ce qu’une ethnie ? Elle peut être définie comme tout groupe humain ayant — ou plutôt convaincu d’avoir — une même origine (à la limite les mêmes parents) et perpétuant ce lien par des récits, des rites, un langage entretenant une conscience commune. Une famille, une tribu et aussi certaines nations constituent bien des ethnies. L’ethnologie n’est-elle pas la discipline consacrée aux sociétés froides (Claude Lévi-Strauss), d’avant la colonisation européenne (donc d’avant l’histoire, dans le sens occidental du terme), tandis que la sociologie se penche sur les sociétés chaudes, modernes, issues de l’immense choc de la Renaissance et des Lumières ?
En cette fin du XXe siècle, le terme ethnie, longtemps réservé à des cercles restreints, est devenu un mot chaud, notamment avec la tragédie yougoslave et les politiques de nettoyage ethnique pratiquées d’abord par les Serbes. Face à des événements aussi violents, aussi terribles pour ceux qui les vivent, suffit-il de s’indigner, de dénoncer ces agissements comme barbares ? Ne faut-il pas aller au-delà, se demander si ce qui se passe dans l’ex-Yougoslavie est aberrant ou au contraire n’est qu’un des aspects de la modernité, de notre modernité ? Les Serbes, les Croates, les Bosniaques ne sont ni des martiens, ni des sauvages (si ce mot a une signification), mais des hommes comme nous. La compréhension du nettoyage ethnique requiert de s’interroger sur trois notions clés de la modernité, celles de nation, de démocratie et de territoire.
Nation, homogénéité, identité
Dans le sillage de la guerre franco-prussienne de 1870-1871, se déroule la célèbre controverse sur l’idée de nation entre le Français Renan et l’Allemand Strauss. Pour le premier, s’opposant à l’annexion de l’Alsace-Lorraine par l’Empire allemand, « la nation est une âme, un plébiscite de tous les jours ». Ce qui fait une nation, c’est la volonté de vivre ensemble de ceux qui la composent ; c’est donc un choix toujours susceptible de remise en cause. Pour Strauss, porte-parole d’une conception ethnique de la nation, celle-ci résulte d’éléments « objectifs » (passé, culture ou même traits raciaux communs, et, en ce qui concerne les Alsaciens-Lorrains, leur longue appartenance au monde germanique, l’utilisation d’une langue elle aussi germanique).
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