À propos du livre de Paul-Marie de La Gorce : 39-45, une guerre inconnue (France Loisirs, 1995, 640 pages).
Parmi les livres - Incertitudes stratégiques
Liddel Hart, après qu’il eut relaté dans son livre The other side of the hill (Londres, 1951) ses entretiens avec quelques-uns des grands généraux allemands prisonniers en Angleterre, s’était placé dans une perspective stratégique pour écrire son Histoire de la Seconde Guerre mondiale (Fayard, 1973). Non point débat idéologique sur la lutte des démocraties contre les dictatures, ni analyse des causes et effets du conflit à l’échelle locale ou planétaire : le stratège anglais s’en était tenu aux rapports de forces, aux buts de guerre, enfin aux choix stratégiques, qu’on se place au niveau mondial, à celui de chacun des théâtres, voire dans le domaine opérationnel, celui des engagements et de l’utilisation tactique des armes. Au passage, l’auteur n’avait pu, d’ailleurs, éviter de souligner certaines carences spectaculaires de nombre de hauts responsables politiques et militaires de toutes nationalités : pusillanimité du grand état-major allemand face à Hitler, archaïsme des Français, déformations insulaires, corporatisme, formalisme, ambivalence des décisions, cécité…
Telle est la ligne qu’emprunte Paul-Marie de La Gorce dans son dernier ouvrage 39-45, une guerre inconnue (Flammarion, 1995), à ceci près qu’il va, quant à lui, beaucoup plus loin. Certes, l’ouverture des archives dans la plupart des pays l’y aide. Son objectif, toutefois, n’est pas, comme il le dit lui-même, d’écrire une nouvelle version du dernier grand conflit, mais en examinant de bout en bout, à chaque étape et dans chaque camp, les décisions stratégiques, d’en montrer en maintes occasions la relativité, le caractère contingent, les aberrations ou les ambiguïtés, incertitudes d’autant plus frappantes que dépendaient d’elles, chaque fois, la vie de milliers d’êtres, le cours de la guerre et, finalement, l’avenir de l’humanité.
Que nombre d’idées reçues s’en trouvent, du même coup, affectées, n’empêche que, d’un point de vue historique, on ne peut que se féliciter, tant est attrayante, et souvent captivante, cette approche renouvelée, source de données inédites propres à projeter un éclairage différent sur les événements de l’époque et à mieux faire comprendre échecs et succès. En revanche, sous l’angle concret du citoyen, censé en pleine tourmente s’en remettre totalement à ses gouvernants comme sous l’angle, plus abstrait, de la « théorie de la décision », le manque fréquent de rigueur qui entoure la conduite de la guerre a de quoi stupéfier.
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