La prolifération : mythes et réalités
C’est aujourd’hui un lieu commun de dire que le danger de prolifération a considérablement augmenté depuis la fin de la guerre froide : la capacité de contrôle que les « anciennes » superpuissances exerçaient sur leurs alliés du monde développé s’est réduite, tandis que s’est accrue, dans ces circonstances nouvelles de « vide du pouvoir », la volonté des États de développer des armes de destruction massive pour satisfaire leurs besoins de sécurité ou d’expansion. Je travaille sur les questions de prolifération depuis 1977 et je ne partage pas cette opinion. Certes, l’attention des médias, de l’autorité politique et de la communauté stratégique, s’est développée au profit de ces questions après la disparition du vieil ennemi, mais en ce qui concerne le sujet lui-même, pour l’ancien « spécialiste de la non-prolifération » que je suis, peu de choses ont changé.
Tous les programmes d’armement nucléaire qui nous concernent aujourd’hui remontent à l’époque du conflit Est-Ouest. C’est également le cas des programmes chimiques et bactériologiques ; aucun nouveau candidat n’est apparu depuis le milieu des années 80, c’est-à-dire depuis que M. Gorbatchev est entré en scène. Dans quelques pays, on peut dire que la portée des missiles balistiques a augmenté, qu’ils ont une plus grande précision grâce au système de positionnement global (GPS), et c’est important. Cependant, ces mêmes États possédaient déjà des missiles balistiques avant 1985, la plupart appartenant à la catégorie des vieux Scud B soviétiques, ou ne faisaient que poursuivre des programmes de missiles commencés depuis des décennies.
Cela étant, il faut rappeler qu’un certain nombre d’éléments très positifs n’auraient pas été possibles sans le rapprochement Est-Ouest : l’Afrique du Sud a démantelé un petit arsenal nucléaire, s’est totalement soumise aux inspections de l’AIEA et est prête à adhérer à la zone africaine dénucléarisée dès que possible. Le Brésil et l’Argentine ont soumis leurs matériaux fissiles au contrôle de l’AIEA et pris part à de vastes accords sur l’élaboration de mesures de confiance et de coopération ; l’Argentine comme le Chili ont signé le traité de non-prolifération. Cuba a signé le traité de Tlatelolco qui entrera en vigueur après sa ratification par La Havane. On a écarté le risque de voir de nouveaux États dotés de l’arme nucléaire faire surface suite à la chute de l’Union soviétique. L’Irak a été obligé de mettre un terme à ses programmes clandestins d’armes diverses de destruction massive, et il est probable que ceux-ci ne seront pas réactivés tant que persistera le contrôle rigoureux de l’AIEA Unscom. La Convention sur les armes chimiques entrera en vigueur l’an prochain, avec ou sans la ratification du Sénat américain, et la vérification commencera peu après. La Convention sur les armes biologiques sera assortie d’un protocole de transparence et de vérification dans les prochaines années et sera ainsi investie pour la première fois d’un « pouvoir de contrainte ».
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