Un thème d'actualité
Il s’agit, par une série d’exposés, de traiter les données géopolitiques ou nationales qui conditionnent la définition des objectifs et l’établissement des priorités, ce qui inclut les contraintes financières.
Nous allons d’abord, ce matin, faire le point du changement en profondeur que connaît notre système de défense, un changement qui est commandé par une modification radicale du contexte stratégique. Un nouveau concept de défense a été amorcé dans le Livre blanc de 1994 et a trouvé sa première concrétisation dans les décisions prises l’an dernier. Nouveau concept, nouvelle stratégie, transformation du cadre dans lequel l’action va se développer : une réorientation aussi forte ne peut aller sans poser la question (fondamentale et à laquelle il faut répondre pour que la défense soit bien ce qu’elle doit être, l’affaire de la nation tout entière) de la relation défense-citoyens. C’est un point sur lequel nous aurons à nous arrêter aujourd’hui et sur lequel nous aurons souvent à revenir : la défense doit rester l’affaire des citoyens, une grande ambition de la nation.
Ainsi, quelles sont les nouvelles donnes d’où se déduit quel concept de défense ? Et où en est-on dans la première étape ? Ce sera l’objet des débats de ce matin. Un projet comme la définition de ce nouveau concept et sa réalisation est un projet en marche, avec ses difficultés de mise en œuvre et sa part d’imprévisibilité. Son déroulement est loin d’être totalement écrit, c’est pourquoi nous parlerons, cet après-midi, de l’avenir, autrement dit comment nous préparer à être au moment voulu, avec des moyens adaptés, au bon carrefour politique, stratégique, technique, alors que le chemin qui s’ouvre devant nous est à bien des égards mal reconnu ? Nous évoquerons donc les manières de faire, les principes et les modalités de l’organisation de l’action. À ce sujet, je vous demande de relever dans le programme les mots « projet d’entreprise ». Ils sont révélateurs d’une volonté d’adopter pour la défense la démarche moderne de gestion des ensembles complexes, laquelle combine qualité, efficacité, prise en compte de la concurrence, étendue et exigences du marché, économie des moyens, intégration de systèmes dans des systèmes. C’est le choix d’une méthode permettant d’optimiser la mobilisation et l’utilisation des moyens, que nous aborderons par un exemple.
Nous examinerons ensuite comment se dessine, se préfigure, la nouvelle architecture ou, si vous préférez, la nouvelle matrice du système de défense français, c’est-à-dire comment pourrait s’opérer la complexe imbrication du national, de l’européen, de l’atlantique, telle que l’impliquent l’ambition d’une Europe de la sécurité et la nouvelle donne politique et fonctionnelle de l’Alliance atlantique. Cette analyse appelle la modestie, tant elle suscite des questions plus encore qu’elle n’apporte aujourd’hui de réponses.
C’est un programme chargé, le temps qui nous est imparti est court, et je me garderai bien de me substituer aux intervenants ou de présenter prématurément des conclusions. Je me contenterai de clore ce propos par deux brèves remarques.
Bouleversement du contexte stratégique, oui, mais rien n’est donné pour l’éternité et des menaces du même type que celles qui ont façonné notre précédent système de défense peuvent resurgir. Une politique conçue pour la durée devra tenir compte d’une telle possibilité, même si elle paraît improbable et dans tous les cas lointaine. En la matière, on ne peut renoncer ni dans la conception générale du système de défense, ni en ce qui concerne sa modernisation, à une veille sérieuse et active.
Deuxième remarque, et je l’ai déjà dit, c’est la nature des choses, quand se produisent des changements de cap importants, les premières réponses laissent des questions non résolues ou même mal perçues, tant il est difficile d’intégrer d’un seul coup la masse des données nouvelles et plus encore d’imaginer toutes les surprises d’un avenir qui, pour partie, s’avance masqué. C’est pourquoi je pense que nous sommes à une première étape de cette discussion sur le concept de défense ; ce débat, nous devrons continuer à l’enrichir, car nous allons voir se bâtir peu à peu un nouveau système. D’où l’importance de l’échange que nous allons avoir avec vous tous, que l’expérience met à même de formuler les questions que suscite l’exploration d’une situation aussi foncièrement en rupture avec le passé. Je souhaite que ce débat soit très riche ; l’enjeu est d’importance nationale.
Un dernier mot : je me suis moi-même souvent interrogé sur ces problèmes, nous en parlons régulièrement au sein du Comité d’études de défense nationale. Je ressens combien ce débat se situe dans un contexte mondial, européen, parfois français, un peu morose. On se demande parfois dans la vieille Europe où sont les grandes causes. Or la novation dans la défense, mal comprise alors qu’elle est l’affaire de la nation et donc de tous ses citoyens, est une grande cause.
La manière dont nous abordons ces problèmes doit nous permettre de montrer que cette transformation n’est pas la négation de notre histoire, mais bien quelque chose de positif, de créateur, qui doit aider la défense et son organisation à s’intégrer fortement dans le tissu français. ♦