L’auteur, ancien inspecteur général des armées, nous présente un texte qui constitue une synthèse des thèmes qui seront développés lors du colloque qu’organise le Centre d’étude et de prospective stratégique le 18 juin 1998.
Vers une politique de défense adaptée
1945-1989 : 44 ans d’affrontement entre l’Union soviétique avec ses alliés forcés d’Europe centrale et les États-Unis d’Amérique avec ses partenaires d’Europe occidentale, plus de quatre décennies d’opposition entre l’idéologie communiste et le principe libéral, près d’un demi-siècle de guerre dite froide, faisant oublier les guerres très chaudes qu’elle a engendrées ou dont elle est contemporaine, de la Corée à l’Indochine, du Viêt-nam à l’Algérie, des luttes israélo-arabes aux violences tribales africaines : en quelque cinquante ans, plus de 160 conflits répertoriés par l’Onu faisant plusieurs millions de morts.
Des excès du langage ont conduit à parler de guerre froide. Quand il y a une guerre, il y a nécessairement des vainqueurs et des vaincus. En termes plus mesurés, il y a au moins des gagnants et des perdants. Quelle que soit la prudence dont on fait preuve ou la réserve qu’il convient d’afficher face à l’ancien adversaire, il est indéniable que nos pays, ceux de l’Alliance atlantique, sont du côté des gagnants.
Il est également indéniable que l’affaiblissement des régimes communistes dans les pays d’Europe centrale et de l’Est européen s’est accompagné de désordres économiques et monétaires, de désorganisation industrielle et surtout d’une relative impuissance militaire en Europe. L’ancienne menace a reculé de 600 kilomètres, elle s’est réduite en volume, en efficacité, en disponibilité immédiate, même si une résurgence à moyen ou à long terme reste toujours possible. Enfin, et surtout, les traités sur la réduction des arsenaux nucléaires et la volonté concertée des dirigeants de l’Est et de l’Ouest ont entraîné une appréciable diminution des armes de destruction massive.
Malgré le pessimisme latent des nations très évoluées, il est manifeste que la situation actuelle est moins dangereuse que la situation antérieure. A contrario, nous ne pouvons négliger ni l’évolution vers un accroissement et une diversification des crises, ni les risques de conflits régionaux majeurs en partie provoqués par la disparition de l’une des deux tutelles de fait exercées auparavant par les leaders des deux camps opposés, l’Union soviétique d’une part, les États-Unis d’Amérique d’autre part. Jusqu’à la fin des années 80, nous avions affaire à des crises sous tutelle, nous sommes désormais confrontés à des crises autonomes.
Si l’on ajoute à ce tableau la montée du terrorisme, isolé ou d’État, ainsi que celle de l’intolérance religieuse ou ethnique, notre tâche concernant la défense et la sécurité est loin d’être achevée ; les périls demeurent mais ils n’ont pas l’intensité de ceux au milieu desquels nous avons vécu pendant un demi-siècle.
Dès lors que l’on s’accorde sur cette réduction relative de l’importance de la menace, il n’est pas anormal que les États acceptent de consacrer un plus faible pourcentage de leur richesse nationale à l’effort de défense, pourvu que celui-ci reste adapté à l’évolution de la conjoncture et aux nouvelles formes de menaces existantes ou potentielles.
C’est bien ce que font actuellement la plupart des nations, sauf dans certaines zones comme le Proche-Orient ou l’Asie du Sud-Est. Toutefois, réduire l’effort financier, ce n’est pas suffisant pour construire une politique de défense, surtout lorsque cette réduction est utilisée comme une variable de la régulation budgétaire, réajustable en cours d’exercice annuel et périodiquement remise en cause par des lois de programmation inutiles parce que non contraignantes, qui vivent une existence éphémère entre promulgation et péremption, avant de renaître de leurs cendres amputées d’une partie de leurs moyens, sinon de leurs ambitions.
Les politiques de défense ont pour finalité d’organiser et de gérer l’ensemble des moyens destinés à pourvoir à la sécurité du pays et de ses citoyens. Elles s’accordent mal du court terme et de la gestion au jour le jour, même si elles doivent conserver un caractère évolutif pour s’adapter aux variations de la conjoncture. Elles sont surtout tributaires d’un principe de cohérence entre l’appréciation des risques, le volume des ressources affectées, donc des moyens disponibles, et les décisions d’engagement de nos forces pour la sécurité directe du pays ou dans les interventions hors du territoire national.
À de rares exceptions près, il est vraisemblable que nous ne serons plus jamais seuls dans les opérations extérieures de quelque envergure. Il est certain, en tout cas, qu’avec 60 millions d’habitants, 352 700 militaires sous les armes et 185 milliards de francs par an, nous ne sommes plus en mesure de nous occuper de tous les désordres et de tous les malheurs du monde. ♦