Nous reproduisons ci-dessous les questions et réponses qui ont été émises après les conférences de la matinée sur la situation actuelle du nucléaire militaire.
Débats
• L’interruption des essais nucléaires ne put se faire qu’après vérification de trois aspects : la fiabilité des engins, le gain puissance/poids et la recherche de nouvelles performances ou de nouveaux effets. En abandonnant ces essais, ne renonçons-nous pas à une prospection plus large ?
Avec l’arrêt des essais on conserve les grands principes de conception, quelque chose d’intangible, et le programme de simulation a été dimensionné pour gérer de faibles écarts ; il n’est pas envisageable, à moyen terme, de développer de nouveaux engins sur de nouveaux principes car on ne saurait pas les valider. Si on avait procédé à d’autres essais, il est assuré que l’imagination aurait été orientée vers d’autres voies. Ce qui est vital aujourd’hui, c’est la garantie.
• Comment envisage-t-on la gestion de programmes nucléaires encore nationaux dans une société européenne intégrée ?
C’est la question qui se pose dans la fusion Aerospatiale-Matra et Dasa en ce qui concerne le développement de systèmes stratégiques. À l’instar de ce qui se passe dans des domaines plus classiques, il existe des zones d’intérêts purement nationaux dans lesquelles d’autres pays n’ont pas droit de regard. C’est admis, et tant qu’il n’y aura pas d’entité européenne, il en sera ainsi.
• Le CTBT n’étant pas ratifié par les Américains, vis-à-vis des États qui l’ont signé et ratifié, ce traité reste-t-il en vigueur ou devient-il caduc ?
Ce traité doit être ratifié par les puissances nucléaires, mais aussi par les 43 pays qui possèdent des réacteurs ; or il y en a deux qui ne sont pas du tout disposés à le ratifier actuellement : l’Inde et le Pakistan. Donc, je crois que ce traité n’entrera jamais en vigueur. Il demeure cependant une obligation morale pour les pays qui l’ont approuvé.
• En choisissant de nous orienter vers des armes plus rustiques ne va-t-on pas à l’inverse de l’évolution scientifique et technique ? De plus, si nous n’avons pas la possibilité d’explorer d’autres formules, qu’adviendra-t-il ?
Il est évident que nous sommes en rupture conceptuelle avec ce qui a été fait par le passé. Aujourd’hui, ce qui prévaut c’est la garantie, c’est-à-dire qu’on ne fera que ce qu’on pourra assurer. Il existe quand même dans la décision qui a été prise par la France et dans la cohérence entre la dernière campagne et le programme de simulation une logique qui n’existe pas aux États-Unis. Pour l’avenir, ce programme de simulation d’aujourd’hui est prévu, à l’horizon 2000, pour valider dans la continuité des charges qui seront fiables jusqu’en 2040. La question se posera de revoir nos besoins, mais le degré d’avancement du programme sera un atout d’importance pour des évolutions potentielles.
• Peut-on être raisonnablement confiant dans la fiabilité de notre appareil de dissuasion à l’avenir ? En outre, quelle est l’efficacité des engins que certains pays mettent au point sans effectuer d’essais ? Peut-on faire des armes sans les valider par des essais ?
En tenant compte du sérieux de notre programme de simulation, on peut être serein sur la pérennité de notre système de dissuasion. Nos armes seront peut-être moins pointues, mais aucunement moins performantes dans leur utilisation. La problématique qui se pose aux pays se dotant d’armes nucléaires, c’est de disposer de vecteurs et d’être assuré de leur sûreté, ce qui ne semble guère possible sans essais.
• Que penser du traité interdisant à terme la production de matières fissiles à des fins militaires ?
La Cogema, en tant qu’industriel, n’a pas à avoir de position sur la négociation d’un traité qui concerne les gouvernements. Nous sommes très attachés à ce que l’interdiction de produire des matières fissiles utilisables pour des armes nucléaires, donc des matières fissiles de qualité militaire, ne serve pas aux gouvernements étrangers hostiles au retraitement, tel qu’il est pratiqué en France, pour remettre en cause cette technologie parfaitement maîtrisée.
• Qu’en est-il du tritium ?
Depuis la décision gouvernementale de cesser de produire des matières nucléaires, les installations de Marcoule sont en démantèlement. En ce qui concerne le tritium, les Américains ont choisi de renouveler leur stock en utilisant un réacteur civil, mélangeant donc les cycles civil et militaire, mais nous pensons chez Cogema que ce n’est pas une bonne idée. En 1995, la France a pris la décision d’arrêter la production de matières fissiles et donc d’utiliser dans les systèmes futurs la matière recyclée des armes dont nous disposons. Le stock va aller s’appauvrissant. Plusieurs solutions ont été étudiées, mais il faut bien voir que le besoin apparaîtra vers 2015, ce qui ne nous laisse pas beaucoup de temps pour choisir une solution. Ou bien nous aurons une installation propre à fournir du tritium militaire et il nous reste peu d’années pour affiner les dimensions de ce moyen tritigène, ou bien on utilisera les réacteurs qui servent pour les entraînements de la marine. En ce qui concerne les autres matières, le besoin, très net, apparaîtra dans une décennie.
• À propos du concept substratégique, les Américains et les Britanniques insistent sur les qualités de leurs armes à cet égard. Ils en font valoir la précision et ils insistent sur la possibilité de moduler en puissance et en nombre les charges de ces armes : ces technologies nous sont-elles totalement interdites ?
En ce qui concerne la précision, il ne faut pas confondre deux choses : celle d’une arme classique telle qu’utilisée en Irak ou en ex-Yougoslavie et qui doit être très grande avec une charge adaptée, et le domaine nucléaire où une précision de même nature n’est pas exigée, même avec des charges faibles. Effectivement, nous poursuivons des études, non pas pour augmenter la précision d’un système de type M51 (ce qui ne correspondrait à rien dans une stratégie de dissuasion comme la nôtre), mais afin d’assurer la précision initiale avec des portées plus importantes. ♦