Cet article a été écrit alors que l'auteur était directeur de l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN). On sait qu’en 1942, passé en Afrique du Nord au moment du débarquement allié, il fut d’abord directeur de la Marine marchande, puis, à partir d’août 1943, Chef d’état-major général de la Marine. À ce titre, il exerça le commandement des Forces maritimes et aéronavales françaises en 1943 et 1944. On sait également qu’il vient d’être récemment désigné comme adjoint naval du général Eisenhower à l’État-major Atlantique.
Un second front était-il possible en 1942 ?
Pouvait-on créer en Europe, plus tôt qu’on le fit, le second front réclamé par les Russes dès 1941, et abréger ainsi la guerre ? Telle est la question à laquelle je voudrais tenter de répondre avec netteté. Je sais bien que beaucoup de lecteurs s’arrêteront à son seul énoncé, pensant qu’il est bien vain de vouloir établir ce qui serait advenu, il y a huit ans, « si » les dirigeants de la guerre avaient pris des décisions autres que celles qu’ils adoptèrent. « Avec des « si » on mettrait Paris dans une bouteille », déclare le dicton populaire. Et rien n’est plus aisé que la sagesse après l’événement. On connaît le mot de Frédéric le Grand : « Si nous avions tous connu avant une bataille ce que nous apprenons quand elle est terminée, chacun de nous serait un grand général ».
Il en est cependant, je l’espère, qui penseront qu’à la fin d’un conflit, il n’est pas sans intérêt et même sans intérêt pratique, lorsqu’on a pu établir avec certitude ce que furent à chaque moment les situations et les possibilités de chacun des adversaires, de méditer sur les occasions perdues comme sur les décisions heureuses. Nous eûmes en France grand tort de ne pas réexaminer la campagne de 1914 sous l’angle de la critique. Il y eut bien en 1920 toute une littérature pour épiloguer sur les erreurs de chacun : son succès fut éphémère. La masse n’aime pas les leçons ; la guerre était gagnée, tout était pour le mieux ! On ne tira ainsi du miracle de la Marne qu’une conclusion bien simple : c’est que la France se tirait toujours des situations les plus désespérées. Il eût été plus sage de méditer sur ce qui aurait pu advenir en septembre 1914, sans le sang-froid de quelques chefs et l’endurance de nos régiments en pantalon rouge.
Quoi qu’en ait dit Renan, dans une phrase que l’on se plaît à notre époque à exhumer, quoi qu’en ait dit, plus récemment, Paul Valéry qui voyait dans l’Histoire un produit terriblement dangereux, il est parfois « tentant et instructif », pour employer les mots si exacts de M. W. Churchill, de revenir sur le passé.
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