L'opinion américaine s'irrite des lenteurs du réarmement des puissances européennes signataires du Pacte de Bruxelles, qu'elle est portée à expliquer par l'incurie ou la mauvaise volonté. Habituée à la réussite, elle a exclu le mot impossible de son vocabulaire. Cette manière de voir est partagée en Europe par certains esprits enclins par formation à ne tenir pour réelles que les difficultés techniques. Ceux-là d'éprouver une impression de malaise, de scandale même, à lire que le problème du réarmement en Grande-Bretagne ou en France, envisagé du point de vue des finances publiques, est à peu pris insoluble (voir l'étude de l'économiste britannique C. F. Carter intitulée « Réarmement et Finances publiques » publiée dans la revue Public Finances n° 3, 1950) de se faire fort de confondre l'économiste, comme jadis le sophiste qui niait la possibilité du mouvement en marchant. La logique des économistes serait-elle pour autant mise en déroute ?
À n'en pas douter, les nations européennes peuvent fabriquer des armements, en quantité plus considérable même qu'il n'a été prévu dans les programmes actuels. Il suffit qu'elles veuillent, et les termes du problème étant clairement posés, qu'elles admettent imperturbablement toutes les conséquences de cette détermination sur le plan intérieur, et les fassent admettre aux nations solidaires de cette politique sur le plan international. Mais il apparaît que les décisions impliquées, que les mesures à prendre seront, en ce qui concerne les nations européennes, d'ordre social et politique, alors qu'elles demeurent sensiblement du domaine économique aux États-Unis.
Une analyse insuffisante des conditions dans lesquelles s'était effectuée la reconversion, après la guerre 1914-1918, dans la plupart des pays belligérants, et la mobilisation économique allemande ou américaine à l'occasion du conflit 1939-1945, a pu conduire quelquefois à la conclusion que la création d'un formidable instrument de guerre était somme toute plus aisée que le retour à la situation normale du temps de paix; une raison de ce paradoxe était cherchée dans le relâchement des énergies et le desserrement des disciplines qui se manifestent inévitablement dans les périodes d'après guerre. L'expérience de ces dix dernières années — période privilégiée pour l'observateur économique — oblige à repenser ces relations. Les pays nord-américains ont réussi successivement une conversion, puis une reconversion et une nouvelle conversion, sans qu'il en résulte pour leur économie des tensions rendant nécessaire l'instauration d'un système généralisé de contrôle — au contraire des pays d'Europe. Une explication de type économique apparaît possible dans tous les cas, fondée sur les caractères structurels des corps économiques en cause, particulièrement sur la plus ou moins grande élasticité de leurs divers facteurs. Les perturbations subies par un corps économique seront, selon le cas, amorties ou amplifiées : amplifiées, un nouvel équilibre ne pourra être qu'artificiel, calculé et imposé.