Les « multinationales » restent d’actualité. Les discussions auxquelles elles donnent lieu sont cependant abordées aujourd’hui avec moins de passion. On est conscient de la nécessité d’étudier leur insertion dans l’ensemble de la politique d’aménagement du territoire. Deux études récentes de la Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale (Datar) témoignent de ce nouvel état d’esprit plus réaliste. Leurs titres sont significatifs : Investissements étrangers et aménagement du territoire (Livre blanc) ; Éléments pour une politique d’accueil des quartiers généraux d’entreprises multinationales en France.
L’objet de cet article est plus modeste. L’auteur, professeur agrégé de Droit à l’Université de Paris XI, apporte le point de vue d’un juriste. Il présente les différentes thèses tendant a interpréter la signification de ce phénomène mondial et à jeter les bases d’une juridiction internationale susceptible de le réglementer. Il montre comment le pouvoir croissant des multinationales appelait une réplique syndicale transnationale dont la stratégie et les structures se cherchent actuellement.
« Développement nouveau du régime capitaliste » selon les uns, « évolution objective des facteurs de production » pour les autres… Au-delà des interprétations, l’actualité des entreprises multinationales, ces organisations économiques privées dont les activités transgressent les frontières nationales et les réglementations étatiques, n’est plus à démontrer. Le 14 mai 1971, le pape Paul VI, dans sa lettre sur les nouvelles questions sociales, écrit que les entreprises multinationales « par la concentration et la souplesse de leurs moyens peuvent mener des stratégies autonomes en grande partie indépendantes des pouvoirs publics nationaux, donc sans contrôle au point de vue du bien commun ». Le 26 janvier 1974, les partis communistes d’Europe occidentale se réunissent pour traiter de « la lutte de la classe ouvrière des pays capitalistes devant le développement des sociétés multinationales ». Le coup d’État du Chili, puis la crise pétrolière, relancent, dans l’opinion publique, les controverses sur certains aspects des « multinationales » : l’essayiste anglais, Anthony Sampson, fait d’I.T.T. un « État souverain », qui ne dédaigne pas les « grimaces » de la souveraineté — corruptions, complots : divers dirigeants politiques, en Europe occidentale comme aux États-Unis, dénoncent le rôle ambigu des sociétés pétrolières qui jouent de toutes les occasions de faire monter les prix… Le débat gagne, enfin, les principales instances intergouvemementales : l’Organisation Internationale du Travail, la Conférence des Nations Unies pour le Commerce et le Développement, le Conseil Économique et Social de l’O.N.U., la Commission du Marché Commun, se saisissent du dossier.
Pourtant les contradictions ne manquent pas, qui se prêtent peu aux jugements sommaires. Facteurs de perturbation, les firmes multinationales sont aussi des facteurs de croissance : les États socialistes, qui les attaquent à l’ouest par partis communistes interposés, les choisissent comme partenaires presque exclusifs pour assurer leur propre développement ; les nations prolétaires, qui sont les plus impuissantes à faire face aux grandes sociétés, sont aussi les plus contraintes à faire appel à elles. Agents d’une modernisation ressentie comme libératrice, mais sécrétant de nouveaux rapports de domination, les firmes multinationales sont les moteurs d’une internationalisation de la production qui tend à remplacer le commerce dans la concurrence entre nations : en octobre 1970, M. Olivier Long, directeur du G.A.T.T., estimait que les échanges effectués à l’intérieur d’une même firme représentaient 30 % du commerce international. Des transformations profondes du système international sont donc en cours, qui altèrent le jeu des acteurs « classiques » ; mais l’action des pouvoirs économiques transnationaux est, peut-être, vouée à susciter l’apparition de contre-pouvoirs — interétatiques ou transnationaux…
L’entreprise multinationale
Plus que par une définition claire de sa nature ou de ses fonctions, c’est par son poids économique que l’entreprise multinationale s’impose a l’observateur. La confrontation du produit national brut des États et du chiffre d’affaires des firmes mondiales permet de classer, parmi les cent plus grandes entités économiques, cinquante et une entreprises et seulement quarante-neuf États : la « General Motors », première firme, est au treizième rang, devant la Suède. Encore les États ne sont-ils pas des unités de gestion économique : la comparaison des budgets respectifs des États et des entreprises serait plus significative : l’avantage des secondes serait, alors, encore plus grand.
L’entreprise multinationale
La rencontre avec l’État-nation
Vers un syndicalisme transnational ?