Le quatrième affrontement israélo-arabe a donné lieu à un phénomène nouveau : pour la première fois, des États situés hors du « champ de bataille », l'Arabie saoudite et l'Algérie, y ont joué un rôle important. D'autres États arabes se sont manifestés par un rejet de la politique égypto-syrienne en s'isolant dans une attitude de refus, ainsi l'Irak et la Libye. Il a paru intéressant d'analyser ces deux types de comportement et de tenter d'expliquer comment, à partir de positions de principe voisines, les présidents Boumediène et Kadhafi ont évalué de façon divergente l'intérêt supérieur de la patrie arabe à un moment crucial de son existence. Les auteures sont deux attachées de recherche à la Fondation nationale des sciences politiques (FNSP), collaboratrices de la revue Maghreb-Machrek.
L'Algérie, la Libye et la guerre d'octobre
Deux leaders maghrébins, le président Boumediène et le colonel Kadhafi, aiment à rappeler qu’au-dessus de la division des États, il existe une nation arabe dont le destin est « indissoluble ». Leur situation par rapport au centre de gravité de l’arabisme ne saurait donc justifier à leurs yeux un relatif désintérêt pour les affaires du Machrek. N’étant pas impliqués dans le conflit par la force des choses, leur engagement volontaire trouve sa raison d’être dans la conviction de leur appartenance pleine et entière à la communauté arabe. Cette appréhension unitaire constitue le fondement et le leitmotiv de leur attachement à la cause palestinienne. Le président algérien assigne d’ailleurs à cette dernière un rôle décisif car « elle peut être le rempart qui fortifie et consolide l’édification du monde arabe ou alors le détonateur qui la soufflera entièrement. »
Aussi les dirigeants algériens et libyens ont-ils mal supporté les années où le Proche-Orient n’en finit pas de se remettre de la défaite de 1967. Leur pessimisme, leurs jugements sans aménité, traduisent un sentiment d’impatience d’autant moins dissimulé que les États directement concernés leur paraissent incapables — ou peu désireux — de s’engager sur une voie longue et dure.
L’incompréhension sépare ceux qui se refusent à croire qu’il n’existe pas d’issue à la fois honorable et pacifique et les autres, sceptiques devant un tel optimisme. Pour l’Algérie, dès le lendemain de la guerre des Six Jours, pour la Libye après la révolution de 1969, il n’est pas question de reconnaître Israël, dont ils préconisent par moments la « liquidation », ni de se prêter à une négociation (1) : le « prétendu État d’Israël » est une base anglo-américaine et la nation arabe, même forte de son bon droit, n’a pas le choix : le colonialisme et le sionisme ne comprennent qu’un seul langage, celui de la violence. L’erreur de 1967 a été de considérer la perte d’une bataille militaire comme une défaite. De juin à septembre, les diplomates algériens avaient essayé de convaincre les responsables arabes de poursuivre le combat avec les armes qu’il leur restait : liquidation des intérêts américains dans la région, suspension des livraisons de pétrole « pendant une année afin de porter un coup sévère à l’industrie des pays impérialistes », retrait des fonds arabes déposés dans les banques occidentales. À cet arsenal économique de la guerre totale s’ajoutait une offensive diplomatique vers le Tiers Monde. C’est au président Kadhafi qu’il appartiendra, en se donnant les moyens de sa politique, d’amorcer le processus de rupture des États africains avec Israël à partir de 1972.
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