Discours prononcé au Camp de Mailly le 18 juin 1977
Après avoir récemment rendu visite à la base des sous-marins nucléaires lance-engins de l’Île Longue et à l’escadre de l’Atlantique, avant de rendre prochainement visite à l’armée de l’air, me voici aujourd’hui au Camp de Mailly pour apporter à notre armée de terre le témoignage de l’estime et de la confiance du Gouvernement et pour marquer, une nouvelle fois, l’intérêt profond que je porte, comme Premier ministre, à la défense de notre pays. Ma visite à ce camp de Champagne, non loin de Colombey-les-Deux-Églises, coïncide avec l’anniversaire de l’Appel du 18 juin 1940.
Où mieux qu’ici, aujourd’hui, serait-il possible au Premier ministre de rendre hommage à la mémoire du général de Gaulle et de rappeler la dette immense de notre pays à l’égard de l’homme qui a sauvé l’honneur de la France, qui a relevé la République, ses armes et ses lois, qui a donné à notre pays les institutions et l’appareil de défense qui sont les garanties les plus sûres de son indépendance ?
Où mieux qu’ici, aujourd’hui, serait-il possible de redire que l’indépendance nationale est la loi de tout gouvernement français, que cette indépendance ne vise, ni à l’isolement, ni à une quelconque forme de repliement neutraliste, ni au reniement des alliances et des solidarités internationales, mais n’a d’autre but que d’assurer à notre pays la pleine maîtrise de son destin ?
Où mieux qu’ici, aujourd’hui, serait-il possible de rappeler que la politique de défense que conduit le Gouvernement sous l’autorité du Président de la République, chef suprême des Armées, reste fidèle aux orientations fondamentales qu’a tracées en 1958 le général de Gaulle, et qu’ont maintenues ses successeurs à la tête de l’État, parce qu’elles répondent aux intérêts essentiels de la Patrie ?
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Messieurs, notre politique de défense s’inscrit dans un contexte international qui est caractérisé d’une part par la formidable puissance nucléaire de certaines nations, États-Unis et Union soviétique, d’autre part, par un état de sur-armement croissant qui affecte la quasi-totalité des pays du monde. Une telle situation est périlleuse pour des nations de notre dimension géographique, démographique et économique.
Par ailleurs notre politique de défense s’inscrit dans un contexte européen caractérisé depuis la fin de la seconde Guerre Mondiale :
— d’une part, par la présence à l’Est d’une puissance militaire considérable, à l’organisation hautement centralisée et disciplinée, dont nous ne pouvons ignorer la capacité d’influence et d’action, même si ses intentions présentes ne sont pas agressives ;
— d’autre part, par une juxtaposition à l’Ouest de démocraties libérales qui, pour des raisons historiques, humaines et même philosophiques, ne sont pas près de se doter de l’appareil de défense que leur potentiel global, humain, scientifique, économique et industriel leur permettrait de réaliser, et qui serait capable d’assurer efficacement leur sécurité : elles sont donc conduites à rechercher cette sécurité non seulement dans une alliance indispensable à laquelle la France appartient et entend continuer à appartenir, mais aussi dans une organisation militaire intégrée, qui relève de l’autorité suprême des États-Unis.
Que l’on me comprenne bien. Il ne s’agit pas ici de dresser un réquisitoire contre l’Union soviétique et ses alliés, avec lesquels nous sommes décidés à poursuivre et à développer notre politique de détente, d’entente et de coopération. Il ne s’agit pas non plus de faire un procès à nos alliés américains et européens de l’Alliance atlantique qui ont choisi, en toute souveraineté, leur système de défense.
Il s’agit seulement de constater la situation réelle de l’Europe qui devrait et pourrait constituer l’un des pôles de la politique internationale, mais qui, du fait de sa division, ne peut entièrement accéder à l’exercice complet des responsabilités qui pourraient être les siennes.
Dans ce contexte, la France avait, pour des raisons qui tiennent à la géographie et à l’histoire, tout intérêt à assurer elle-même la maîtrise de sa sécurité et de son destin, sans renier pour autant ses amitiés, ses alliances, ses engagements. C’est ce qu’elle a fait et c’est ce qu’elle continuera de faire.
Elle s’est retiré de l’organisation intégrée de l’OTAN, et il doit être une fois pour toutes entendu qu’elle ne réintégrera ni aujourd’hui, ni demain, cette organisation, qu’elle ne souscrira à aucun arrangement qui pourrait remettre en cause son autonomie de décision.
Mais il doit également être bien clair que la France appartient à l’Alliance atlantique et qu’elle tiendra, le cas échéant et en toute indépendance, les engagements qui en découlent, comme elle l’a fait sans la moindre hésitation naguère, lors de la crise de Cuba.
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Pour assurer notre indépendance, dans le contexte international et européen que j’ai décrit, il nous fallait en premier lieu acquérir les moyens militaires modernes qui la garantissent, c’est-à-dire une force nucléaire stratégique, capable de dissuader tout agresseur éventuel, nucléaire ou non nucléaire, si puissant soit-il, de s’attaquer à notre pays et de menacer son existence.
C’est ce que nous avons fait. Avec ses trois composantes (sous-marins, missiles basés à terre et avions pilotés) dont la complémentarité renforce mutuellement la sûreté, notre force nationale stratégique a atteint un niveau suffisant pour pouvoir, à coup sûr, infliger à n’importe quel agresseur éventuel, au cœur même de son territoire, des dommages tels qu’aucun chef d’État ou de Gouvernement ne puisse envisager un seul instant de faire courir à son peuple un tel risque.
Certes la puissance de notre force nationale stratégique est très inférieure à celle des arsenaux nucléaires gigantesques dont se sont dotés, avec une recherche constante de la parité, les États-Unis et l’Union soviétique.
Mais notre objectif n’est pas la parité, mais la suffisance. L’ampleur des dommages que nous pouvons provoquer est en effet suffisante pour dissuader : suffisante en elle-même et plus encore, en ce qui concerne les grandes puissances nucléaires, par le déséquilibre décisif qu’elle pourrait introduire dans leur duel paritaire.
Pour atteindre et conserver cette suffisance, dans la limite des efforts que nous pouvons et pourrons consacrer à la mise sur pied de notre force de dissuasion et au maintien de son efficacité, nous avons adopté et nous maintiendrons la solution la plus efficace, la moins coûteuse, et la seule qui soit réellement dissuasive : celle qui consiste à menacer les grandes agglomérations d’une nation adverse, où se concentre la plus grande part de sa puissance démographique et économique.
Dès lors en effet que notre instrument de défense est strictement défensif et dissuasif, qu’il ne serait mis en œuvre, si par malheur il devait l’être, que si la vie même de notre pays était enjeu, aucune considération d’aucune sorte ne pourrait nous détourner de la recherche de l’efficacité dissuasive maximale, c’est-à-dire de celle qui diminue au maximum la possibilité de mise en œuvre réelle de cet instrument terrifiant.
Notre force nucléaire stratégique existe. Elle est efficace et suffisante. Nous ajusterons nos efforts scientifiques, techniques, industriels et financiers au niveau nécessaire pour maintenir cette efficacité et cette suffisance en dépit des progrès des défenses et des parades adverses. Ceci nous conduira en fait à quadrupler, dans les années qui viennent, la capacité de cette force.
Mais il faut, là encore, mettre en relief le principe de suffisance. Sur le plan qualitatif et technologique, comme sur celui de la quantité des armes, notre objectif n’est pas de rivaliser avec les deux super-puissances nucléaires, car nous nous y ruinerions sans succès. Il est seulement de maintenir notre instrument de défense au niveau adéquat en recherchant notamment des solutions originales adaptées à nos problèmes et à nos possibilités propres, mais non de chercher sans cesse à imiter les autres.
C’est dans cette optique que nous devons examiner si nous avons réellement besoin de tel système de satellite, ou de telle forme sophistiquée d’arme, de lanceur ou de système de détection.
Je voudrais à cette occasion prévenir les commentaires qui tendraient à opposer ce que je viens de dire aux déclarations de telle ou telle autorité militaire, technique, industrielle ou scientifique.
Il est normal, et c’est leur devoir, que nos états-majors militaires, industriels ou scientifiques, étudient en permanence toutes les possibilités offertes par l’évolution des faits et des techniques. Il est normal qu’ils expriment leurs points de vue et proposent les solutions qui leur paraissent utiles et souhaitables.
Mais il est non moins normal que les possibilités et les propositions soient ensuite examinées par les autorités de qui relèvent les décisions. C’est à elles qu’il appartient de confronter les solutions proposées, d’une part, aux ressources que le pays peut y consacrer, d’autre part, aux principes fondamentaux de la politique conduite par le Gouvernement. C’est à elles qu’il appartient de choisir en dernier ressort les solutions qui seront mises en œuvre. Telle est la règle dans un régime démocratique responsable et efficace.
Pour en terminer avec la force nucléaire stratégique, je voudrais dire combien le ralliement récent de certains partis politiques à cette force est en fait assorti de conditions qui lui ôteraient d’emblée toute efficacité dissuasive, et je le dis en dehors de tout esprit partisan et de tout esprit de polémique.
On nous engage en effet à abandonner la stratégie anti-cités qui est la seule, je le répète, qui soit, pour notre pays, vraiment dissuasive.
On voudrait en outre que la décision d’emploi éventuel de la force nucléaire stratégique soit prise par un collège où tous les partis politiques seraient représentés. C’est dire que l’agresseur saurait a priori et à coup sûr que cette décision ne serait jamais prise.
On nous pousse enfin à signer un engagement de « non-emploi en premier » de l’arme nucléaire, ce qui nous mettrait en situation de victime consentante face à un adversaire qui nous attaquerait avec des forces seulement classiques, mais supérieures aux nôtres.
Je voudrais également rassurer ceux qui s’inquiètent de ce que notre force nucléaire stratégique ne soit pas « tous azimuts ». Je rappelle que nos sous-marins sont capables de couvrir le monde entier, et que si nous avons par ailleurs des missiles sol-sol de portée plus limitée, nous ne sommes pas les seuls dans ce cas.
L’Union soviétique, par exemple, a des missiles sol-sol et mer-sol capables de couvrir le monde entier, mais elle a aussi, comme nous, des missiles sol-sol de moyenne portée. Ces missiles sont, en outre, pointés sur la plupart de nos villes. Étant donné que ces armes ne peuvent être que dissuasives et que nous n’avons nulle intention de nous attaquer à l’Union soviétique avec laquelle nous pratiquons une politique d’entente et de coopération, je ne vois aucun inconvénient à l’existence de ces missiles. Mais je ne comprends pas que certains Français s’inquiètent de l’existence, chez nous, de missiles analogues.
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Pour assurer, par une dissuasion efficace, la sécurité de nos intérêts vitaux, il nous faut aussi des forces conventionnelles et des forces nucléaires tactiques. Car, contrairement à certaines assertions, notre politique de défense n’est pas, et n’a d’ailleurs jamais été, celle du tout ou rien, pour l’excellente raison qu’une telle stratégie ne peut et n’a jamais pu être considérée comme efficace.
Il existe en effet, de toute évidence, même s’il n’est ni possible ni surtout souhaitable de le définir de façon précise, un seuil de crédibilité, ou pour le dire autrement, un niveau d’agression en-dessous duquel le recours à la force nucléaire stratégique ne peut être crédible.
Un agresseur éventuel pourrait donc être tenté de « tourner » notre dissuasion nucléaire, en s’efforçant de nous « grignoter » progressivement par une succession d’actions purement classiques, se tenant toujours en-dessous du seuil de crédibilité, mais aboutissant à la longue à des résultats cumulatifs importants.
Il nous faut donc compléter notre arsenal dissuasif par des forces conventionnelles suffisantes pour montrer à l’agresseur éventuel que toute action de sa part en-dessous du seuil de crédibilité serait vouée à l’échec et que toute action au-dessus de ce seuil risquerait fort de déclencher la mise en œuvre de notre force nucléaire stratégique sur son propre territoire.
Mais ceci n’est pas encore suffisant face à un agresseur éventuel qui serait beaucoup plus puissant que nous sur le plan des forces conventionnelles et qui entreprendrait, en acceptant des pertes sensibles et supérieures aux nôtres, de « grignoter » notre potentiel de défense classique, nous amenant ainsi et réellement au « tout-ou-rien ».
C’est là qu’intervient le rôle dissuasif fondamental de l’atome tactique que vous avez, Messieurs, l’honneur de servir. Son existence montre en effet à celui qui aurait l’intention de nous attaquer que. même s’il le faisait à un très bas niveau, bien en-dessous du seuil de crédibilité de la force nucléaire stratégique, nous pourrions, en cas de difficultés, passer aussitôt au nucléaire, avec toutes les pertes et surtout les risques d’engrenage irréversible de la violence qui en découleraient.
Autrement dit, en ôtant a priori à l’adversaire tout espoir de contrôler étroitement le niveau de violence d’une bataille classique, au cours de laquelle il pourrait presque impunément liquider progressivement nos forces conventionnelles, et en lui interdisant donc de déclencher une telle bataille, l’atome tactique renforce considérablement, par sa seule existence, notre efficacité dissuasive à tous les niveaux.
De plus, si, par extraordinaire, l’adversaire passant outre à toutes ces menaces, décidait de nous attaquer, l’atome lactique lui donnerait très vite le dernier et solennel avertissement qui conviendrait, avant l’apocalypse.
On voit donc que. pour nous, l’atome tactique est d’abord et surtout une arme de dissuasion, au même titre que les autres, depuis nos missiles stratégiques jusqu’aux fusils de nos fantassins ; et qu’il serait, en second lieu, si, par extraordinaire, la nécessité s’en faisait sentir, une arme de dernier avertissement.
Mais son existence dans notre arsenal ne signifie nullement que nous accepterions une bataille classique et nucléaire tactique prolongée. Bien au contraire, nous refusons totalement cette éventualité. C’est pourquoi le nombre de nos armes nucléaires tactiques est et restera limité.
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Telles sont, Messieurs, les données fondamentales du concept de défense de nos intérêts vitaux par la dissuasion. Elles n’ont pas changé et il n’y a pas de raison qu’elles changent.
Il ne s’agit ni du « tout-ou-rien », ni d’une sorte de dissuasion à « double détente » avec « restauration ». par le combat, d’une « dissuasion » qui serait en fait déjà compromise dès lors que ce combat aurait éclaté à quelque niveau que ce soit.
Il s’agit au contraire d’un concept réaliste de dissuasion à tous les niveaux.
Il tend à empêcher a priori le déclenchement de toute agression extérieure contre nos intérêts vitaux, quelles que soient la forme et l’importance de l’agression ou la puissance de l’agresseur.
Toutes nos forces, forces nucléaires stratégiques, forces nucléaires tactiques et forces conventionnelles, participent, au même titre, à la dissuasion et doivent, de ce fait, être en permanence prêtes à la bataille afin que celle-ci n’éclate jamais.
Ce concept de dissuasion s’applique à la défense de nos intérêts vitaux, c’est-à-dire essentiellement à notre territoire national, cœur de notre existence en tant que nation, mais également à ses approches, c’est-à-dire aux territoires voisins et alliés. Car il est bien évident que si tous ces territoires, à l’exception du nôtre, tombaient entre les mains d’un agresseur, nos jours seraient inévitablement comptés. De même que si un conflit éclatait sur l’un de ces territoires, il ne tarderait pas, compte tenu des distances, à déborder chez nous.
Certes, l’application de ce concept aux territoires de nations souveraines appartenant à une alliance dont nous sommes membres à part entière, mais appartenant aussi à une organisation intégrée à laquelle nous n’appartenons pas et dont le concept de dissuasion est sensiblement différent du nôtre, pose inévitablement des problèmes d’adaptation et, pour le cas où nous déciderions d’agir ensemble, des problèmes de coordination.
Ces problèmes sont étudiés, aujourd’hui, comme ils l’étaient hier au temps du général de Gaulle, au niveau des états-majors.
Mais les Français peuvent être certains que, quoi, qu’il arrive, les décisions d’emploi des troupes et des armes françaises resteront entre les mains du Président de la République et du Gouvernement français et seront prises en fonction de l’intérêt supérieur de la France et des Français.
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Le volume total des forces conventionnelles et nucléaires tactiques qui nous sont nécessaires ne dépend pas seulement des besoins de la dissuasion.
Ces forces ont, en effet, un autre rôle à jouer, tout aussi important et selon toute probabilité plus actif, dans le domaine de l’action extérieure.
Si la stratégie de dissuasion nous permet d’assurer efficacement et en toute indépendance la sécurité de notre territoire et de participer à celle de nos voisins immédiats, elle ne peut couvrir nos intérêts extérieurs :
• en Europe au-delà de notre voisinage immédiat,
• en Méditerranée dont l’importance stratégique est capitale pour la France,
• dans le reste du monde où se situent nos départements et territoires d’outre-mer, nos principales sources d’approvisionnement en énergie et en matières premières, et nombre de pays amis auxquels nous rattachent des liens souvent très anciens,
• sur les océans, enfin, dont l’importance économique et stratégique croît très rapidement.
Le rôle et la vocation de la France dans ces domaines tiennent à des raisons historiques et économiques évidentes. Nous avons la ferme intention d’y poursuivre notre action au service de la paix, de la liberté des peuples et de leur dignité.
Dans la période d’évolution accélérée et de troubles, que connaissent aujourd’hui certaines régions du monde et dans l’état de surarmement qui est le leur, notre action politique et diplomatique ne peut s’exercer efficacement qu’à condition de pouvoir, le cas échéant, s’appuyer sur la présence, et si nécessaire, sur l’action de moyens militaires capables de soutenir nos amis en difficulté et de montrer notre détermination et notre résolution à soutenir nos prétentions légitimes ou celles de nos amis.
Notre action récente en faveur du Zaïre est une illustration de cette politique au même titre que notre intention de maintenir à Djibouti des moyens militaires, sous réserve bien entendu que les autorités indépendantes de cette jeune république nous le demandent, et pour la durée qu’elles fixeront, dans le seul et unique but de contribuer à assurer, en attendant qu’elles puissent le faire elles-mêmes, l’intégrité de leur territoire.
Par ailleurs, le nouveau droit international de la mer, qui est en train de s’établir, va augmenter dans des proportions considérables les étendues où nous devrons faire respecter nos droits.
Ces missions extérieures, et plus encore les actions réelles auxquelles elles pourront, le cas échéant, donner lieu, concerneront au premier chef nos forces conventionnelles.
Pendant les années de mise sur pied de nos forces nucléaires, et du fait de la priorité absolue accordée, à juste titre, à cet effort, nos forces conventionnelles ont souffert d’une insuffisance de crédits tant en ce qui concerne leurs équipements, que leur entretien et leurs activités.
Elles ont ainsi pris un retard indéniable, qu’il était grand temps de redresser, en rétablissant, dans des limites raisonnables, l’équilibre entre nos efforts militaires, nucléaire et classique.
C’est l’objet de la loi de programmation militaire qui a été votée en 1976 par le Parlement, et qui sera appliquée par le Gouvernement en dépit de nos difficultés actuelles.
Ceci dit, je tiens à m’élever solennellement contre certaines déclarations irresponsables selon lesquelles nos forces classiques seraient aujourd’hui incapables d’exécuter leurs missions.
Ce que je viens de voir à Mailly, ce que j’ai vu lors de mes précédents contacts avec les armées, ce que je sais de l’activité quotidienne de nos forces, de même que l’efficacité de notre action récente en faveur du Zaïre, tout cela témoigne à l’évidence de l’aptitude permanente de nos forces conventionnelles à l’exécution de leurs missions.
Toutefois, la présence de moyens nucléaires tactiques au sein de nos forces d’action extérieure ne devrait pas a priori être écartée.
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Mais il ne s’agirait alors que de cas extrêmes, et ces armes ne menaceraient et, le cas échéant, ne frapperaient que des objectifs strictement militaires.
Pour répondre aux missions qui leur incombent tant dans le cadre de la dissuasion que dans celui de l’action extérieure, nos forces classiques doivent développer au plus haut point leurs qualités dans les domaines de la MOBILITÉ, de la POLYVALENCE et de la DISPONIBILITÉ IMMÉDIATE.
Selon d’autres déclarations, l’effort accru décidé en faveur de nos forces conventionnelles se ferait au détriment du développement de nos forces nucléaires. Je tiens à préciser qu’il n’en est rien. Toutes les dispositions ont en effet été prises pour que soit assuré, dans le cadre du concept de suffisance que j’ai précédemment rappelé, le développement de nos forces nucléaires afin que notre capacité dissuasive soit toujours au niveau requis en dépit de toutes les défenses et parades adverses.
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Parallèlement à l’effort prévu par le Parlement et le Gouvernement, l’armée de terre procède actuellement, sous la haute autorité du général Lagarde, à qui je voudrais rendre un particulier hommage, à une vaste opération de réorganisation interne visant à mieux adapter nos forces terrestres aux missions qui sont les leurs.
Entreprise et poursuivie avec une volonté et une ténacité remarquables, en dépit des obstacles nombreux et de tous ordres qui se dressent sur sa route, cette réorganisation commence à porter ses fruits.
Elle aboutira notamment à supprimer la distinction qui existait jusque-là entre les régiments du corps de bataille et ceux de la Défense Opérationnelle du Territoire, faisant des uns et des autres des régiments polyvalents aptes au combat et, j’insiste sur ce point, au combat contre un ennemi militaire.
Il ne s’agit pas en effet, selon certains propos étranges, de préparer une lutte contre un ennemi intérieur.
Je constate d’ailleurs que ceux-là mêmes qui reprochaient si violemment au Gouvernement de préparer cette lutte, préconisent aujourd’hui dans leurs écrits et pour le cas où ils accéderaient au pouvoir, la création d’une force de mobilisation populaire, dans des conditions qui ne peuvent qu’inquiéter ; on ne peut en effet, à la lecture de ces textes, s’empêcher de penser aux milices, de sinistre mémoire, ou aux groupes armés des débuts de certaines révolutions qui ont abouti à des régimes dans lesquels les libertés ne sont plus respectées.
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Comment d’ailleurs une armée, dans laquelle sont intimement mêlés les personnels de carrière et le contingent, pourrait-elle devenir un instrument de répression intérieure ?
Car il doit être bien entendu que nous sommes décidés à maintenir la conscription, c’est-à-dire la participation permanente et efficace d’une fraction de notre jeunesse à l’effort de défense du pays.
Je ne nie pas que ce maintien soulève des problèmes importants dans de nombreux domaines, et notamment dans celui de l’égalité des jeunes Français et Françaises devant le service national. Mais je suis convaincu que chacun de ces problèmes pourra être résolu de façon satisfaisante.
Je sais aussi que certains pays ont abrogé la conscription ; mais les avis sur les résultats de cette abrogation sont très partagés.
Mais je sais surtout qu’en ce qui concerne la France, cette participation populaire à l’effort de défense du pays est indispensable, d’une part parce qu’elle répond au vœu de la majorité des Français, d’autre part, parce qu’elle est nécessaire, sur le plan pratique, en l’état actuel de notre société et de notre économie, pour répondre aux besoins de nos armées.
Je souligne enfin que pour que ce service soit efficace, c’est-à-dire pour que les recrues puissent, une fois instruites, rendre les services que l’on attend d’elles pendant une durée suffisante, te temps du service ne doit pas être inférieur à douze mois.
C’est pourquoi il sera maintenu à douze mois.
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S’il est normal que dans cette enceinte, mon propos ait été plus orienté sur l’armée de terre, il est évident que ce que je viens de dire, tant en ce qui concerne l’efficacité actuelle de nos forces conventionnelles que l’effort accru à conduire en leur faveur et les problèmes de conscription, s’applique aussi aux deux autres armées.
Qu’il s’agisse en effet de la dissuasion ou de l’action extérieure, les missions des forces classiques sont loin d’être en régression. Le Zaïre et Djibouti nous en administrent actuellement la preuve ; et l’extension des zones économiques en mer va requérir de nouveaux efforts de la part de notre marine.
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Messieurs, j’ai consacré la plus grande part de mon propos à l’ensemble des problèmes de défense. C’est parce que face à certaines prises de position et à certains procès d’intention, il importait de rappeler clairement la position de la France et de montrer qu’elle reste fidèle aux grandes orientations qui ont été définies par le général de Gaulle, et qui sont celles qui servent les intérêts fondamentaux du pays.
Je ne me suis pas étendu sur certains problèmes propres à l’armée de terre, mais je connais les remarquables efforts qu’elle fait et la valeur de ses unités.
Je remercie le général Lagarde et ses subordonnés pour l’accueil qui m’a été réservé et pour l’organisation parfaite de cette journée.
Au-delà des concepts et des complexités de la stratégie moderne, il y a d’abord et avant tout les hommes, leur qualité, leur préparation au combat, leur discipline et leur courage.
Ce que j’ai vu aujourd’hui m’a permis de constater la résolution de notre armée de terre d’être toujours prête à défendre la France, et en cas de conflit, de l’affronter jusqu’au bout avec le désir de vaincre.
Aux officiers, sous-officiers et soldats de notre armée, j’exprime la confiance et la gratitude du Gouvernement. ♦