La Belgique et la Politique européenne de sécurité et de défense
Immanquablement, la Politique européenne de sécurité et de défense (PESD) est amenée à influencer les politiques étrangères et de défense des membres de l’Union. Les progrès enregistrés, de la mise en place d’un catalogue de forces à des structures en passant par le nouveau Concept stratégique européen affecteront de plus en plus systématiquement ces politiques et il est sans doute temps de voir comment et en quoi. C’est encore plus le cas dans les « petits » États de l’Union. Moins systématiquement traités dans la littérature concernant les politiques de défense, ils sont aussi plus facilement concernés par les évolutions en matière d’alliances et de construction européenne.
À cet égard, la démarche adoptée par André Dumoulin, Philippe Manigart et Wally Struys porte en elle des enjeux dépassant le strict cadre de la politique de défense belge, même s’il est vrai qu’un véritable ouvrage sur cette dernière manquait et que l’initiative constitue donc et déjà un inédit. Fidèles à leurs habitudes, les auteurs ont adopté une démarche pluridisciplinaire en choisissant d’aborder les aspects politiques, économiques et sociologiques de leur objet.
Ils le font sobrement, évoquant les facteurs diplomatiques et stratégiques dans une première partie où la présidence belge de l’Union, en poste au 11 septembre 2001, est explorée en détail, de même que les conséquences du « sommet des Quatre » d’avril 2003. Ce faisant, ils nous entraînent au cœur d’une des périodes les plus décisives du développement de la PESD. Pour autant, ils ne le font pas du seul point de vue européen, comme c’est souvent le cas en cette matière et la démarche adoptée ici rend compte de l’implémentation de la PESD au niveau de la défense d’un État, la regardant « de l’autre bout de la lorgnette », une démarche peu suivie et pourtant riche d’enseignements pour l’applicabilité de la PESD elle-même.
Évoquant les facteurs politico-militaires propres à la Belgique à partir d’une étude détaillée des différents plans ayant affectés la défense, les auteurs montrent ainsi l’évolution du système de défense sous des contraintes financières majeures, qu’ils n’hésitent pas à considérer comme largement déterminantes. Ils s’intéressent ensuite à l’articulation de ces réformes à l’évolution de la PESD, offrant ainsi une perspective certes éclairante mais évitant le piège facile d’une vision idéalisée de la PESD.
Cette objectivité dans le traitement des hypothèses est tout aussi remarquable dans la troisième partie de l’ouvrage, qui aborde la très complexe question des facteurs économiques dans le formatage de la politique de défense. Wally Struys effectue alors une mise au point théorique utile (en ces matières, l’économie reste trop souvent cantonnée au formatage des stratégies des moyens alors qu’elle constitue aussi un instrument d’évaluation des politiques de défense) suivie de son application à la Belgique. On y découvre des particularités de la défense belge, mais l’auteur analyse aussi la question des compensations économiques dans l’acquisition des moyens, ou les relations entre ces facteurs et la constitution d’une base industrielle et technologique de défense.
L’analyse sociologique de l’évolution des forces armées est trop peu considérée dans les études de défense et la quatrième partie de l’ouvrage, sous la plume de Philippe Manigart, montre l’intérêt de la démarche. Intérêt certes tactique depuis les travaux de Janowitz et d’autres sur la cohésion des unités, mais aussi stratégique et politique lorsque des facteurs sociétaux peuvent être pris en compte. Dans une Belgique à cheval sur la frontière entre l’Europe du Nord et celle du Sud, naturellement ouverte aux influences du temps, l’analyse donnée par l’auteur est donc pertinente et nous offre une vision innovante de l’application de la sociologie.
Cette analyse est tout naturellement suivie de celle du positionnement des partis politiques belges en matière de PESD et de défense nationale, montrant au pas sage leur diversité. Si les annexes sont très fournies d’éléments de première main permettant au lecteur de mieux appréhender la réalité de la défense en Belgique, on ne peut toutefois qu’inciter les auteurs à poursuivre leur travail. En effet, peut-être serait-il souhaitable d’examiner plus en profondeur le positionnement de groupes de pression – les organisations de défense des droits de l’homme ou des centres d’études. Dans la même optique, si les auteurs ont préféré s’en tenir à des faits argumentés et vérifiables, on aurait souhaité avoir une conclusion plus prospective, éventuellement en ayant recours à la méthode des scénarios, comme ce fut le cas dans l’ouvrage d’André Dumoulin, Raphaël Mathieu et Gordon Sarlet sur la PESD.
Enfin, pour conclure cette lecture d’un ouvrage brillant et hautement recommandable pour toute personne intéressée par l’évolution de la défense belge et plus largement par l’interaction entre une société et son armée – on peut le considérer dans ce cadre comme un modèle méthodologique – on se doit aussi de se poser la question de la place de la doctrine et de l’expérience retirée des opérations militaires passées dans le formatage des politiques de défense. Si la thématique n’est abordée par les auteurs que marginalement, c’est sans doute le signe – inquiétant – d’un glissement des armées vers une technocratie trop souvent aveugle face aux défis qui viennent. ♦