Armes de terreur - Débarrasser le monde des armes nucléaires, biologiques et chimiques
Armes de terreur - Débarrasser le monde des armes nucléaires, biologiques et chimiques
Ce rapport, favorable au désarmement total des armes NBC, issu d’une Commission indépendante, d’initiative suédoise, signé à l’unanimité par ses quatorze membres spécialistes civils ou militaires du désarmement, venus de tous les continents, fut publié en 2006 dans toutes les langues, sauf en français, ce qui fait partie du sujet.
Il sort opportunément en France pour nourrir le débat ouvert par la petite vague entraînée par le président Obama qui prend position, à terme, en faveur d’un désarmement nucléaire et d’une interdiction de l’arme nucléaire ; et de la position britannique qui semble pouvoir accepter cette perspective. Déjà le 7 janvier 2007, le Wall Street Journal publiait un article signé de quatre réal-politiciens (G. Schultz, W. Perry, H. Kissinger et Sam Nunn), intitulé « A world free of nuclear weapons ». Cette poussée est donc liée à la globalisation, et n’est pas un simple rappel des clauses « morales » du TNP, faisant obligation aux pays nucléaires de travailler au désarmement nucléaire.
Dans sa préface de 2009, placée en tête de l’édition française, Hans Blix (ex-ministre suédois des Affaires étrangères) cite Victor Hugo (discours d’ouverture au Congrès de la Paix de 1849 : « Un jour viendra où les armes vous tomberont des mains ! ») et il explique les intentions et l’optimisme relatif de la commission dès 2006, et aujourd’hui même. Pourquoi les armes NBC et pas les autres ? Réponse : on ne peut pas faire tout à la fois. Mais la Commission a le mérite d’englober dans son projet le contrôle des vecteurs à longue portée. En outre, il faut commencer par les NBC car leur menace, massive et cataclysmique, est de plus en plus incompatible avec le caractère transfrontalier interactif des grands intérêts économiques de la planète : « Les temps pourraient nous être favorables : nous assistons actuellement à l’accélération des échanges mondiaux en matière de commerce et de communication conduisant à une interdépendance sans précédent qui, de plus en plus, oblige les acteurs, grands ou petits… à éviter d’avoir recours à la menace ou à l’utilisation des armes et à coopérer dans la lutte contre les dangers qui nous affectent tous, comme le changement climatique, le sida ou l’écroulement du système financier international » (1).
Certes, ce sont des « armes de terreur », mais toutes les armes sont terrorisantes à leur échelle. Il s’agit donc de caractériser mieux la terreur de masse. Les armes NBC sont une catégorie juridique agréée, mais néanmoins hétéroclite. L’arme nucléaire n’est que régulée par le TNP, les armes bactériologique et chimique sont interdites. Le groupe NBC peut difficilement être traité comme un objet stratégique ou juridique unique. Lorsqu’on mentionne dans le rapport le « risque de détournement d’armes NBC entre les mains de terroristes », il ne peut s’agir d’armes nucléaires et l’accord signé pour lutter contre le terrorisme nucléaire produit seulement un effet de dissuasion. Dans ce contexte la France, tout comme Israël, l’Inde et le Pakistan n’ont violé aucun traité. Mais on doit évidemment se poser la question de l’utilité et du bien-fondé stratégique actuel de l’arme nucléaire autonome que la France a pris soin de construire dans la période de la guerre froide pour résister au chantage à la protection nucléaire des grands.
Il est de fait que la Commission, en gros, ne se pose pas la question en termes stratégiques (2). Elle décrit en général les armes nucléaires et les armes B et C par leurs capacités de destruction plutôt que comme systèmes stratégiques. Le rapport est certes un mémoire très précis et complet sur les négociations passées, l’état des accords de limitation en vigueur et les prescriptions de la Commission constituent un programme d’action vers une interdiction totale des armes ABC, leur « mise hors la loi ».
L’introduction de Venance Journé, favorable au désarmement nucléaire, aborde par contre la question stratégique. Elle rappelle le niveau des capacités de destruction de l’arme, et les risques d’accidents qui furent caractéristiques de l’ère des bombardiers, mais aussi des missiles. Mais surtout, pour problématiser leur obsolescence, du côté français, elle met en scène les argumentaires stratégiques qui ont accompagné la construction de la force de frappe, depuis la décision du général de Gaulle créant le CEA dès 1945, puis avec la doctrine de la dissuasion du faible au fort. Elle rappelle ensuite toutes les mesures de limitations prises par la France après la fin de la guerre froide, mais relève qu’en dépit de la signature du TNP en 1992, il n’y a pas eu d’infléchissement vers un désarmement nucléaire. Sous la présidence de Chirac (discours du 8 juin 1996 à l’IHEDN) on admet une sorte d’obsolescence stratégique.
Deux phénomènes ont servi ensuite d’argument pour une modernisation de l’arme nucléaire française : la poussée vers la prolifération d’un certain nombre d’États (l’Inde, le Pakistan, l’Irak soupçonné…) ; une nouvelle posture nucléaire américaine unilatéraliste, n’excluant pas l’emploi en premier.
La contagion d’une modernisation américaine, ainsi que l’investissement – d’intérêt général – dans le ciblage de haute précision ont accompagné le maintien de dissuasion française d’arguments « technostratégiques » contestables. Les gains de précision du guidage sur l’objectif devaient, selon ses promoteurs, permettre que « le choix ne soit pas entre l’anéantissement complet d’un pays et l’inaction » du fait que « les dommages auxquels s’exposerait un éventuel agresseur s’exerceraient en priorité sur ses centres de pouvoir politique économique et militaire » (discours du président Chirac, IHEDN, 8 juin 2001). Cette « limitation » capacitaire est évidemment très irréelle si on admet que les centres de décision adverses sont au centre-ville ; donc le message de modération est stratégiquement brouillé. La thèse est reprise pourtant par le ministre, Mme Alliot-Marie, le 26 janvier 2006, devant la Commission de la défense de l’Assemblée nationale (« effectuer des frappes précises et limiter les destructions ») ainsi que dans le Livre blanc de 2008 sous une forme si succincte (« Forces adaptées à des frappes limitées ») qu’on la remarque à peine.
La France avait joué un rôle précis, comme premier proliférateur, dans la poussée de prolifération, qui sert aussi, par effet retour, de justification au maintien de l’arme. Ce rôle est passé, comme on sait, par la collaboration nucléaire franco-israélienne, qui n’est pas sans relation avec la poussée iranienne vers la maîtrise du nucléaire à toutes fins utiles. On ne voit plus du tout en quoi cette manœuvre sert la sécurité de la France. Comme dit l’auteur, « la charge de la preuve est désormais aux tenants de l’utilité de l’arme ». Le dossier plaiderait donc en faveur du désarmement nucléaire français, selon un argumentaire stratégique rationnel plutôt même que pacifiste humanitaire, ce qui ouvre, dès lors, sur un débat franco-français doublement légitime. Aux lecteurs de juger si le raisonnement serré de Venance Journé – et de la Commission – en faveur d’un traité d’interdiction multilatéral non discriminatoire est valable, et peut être planifié selon une feuille de route qui ne créerait aucun risque de « tentation d’utilisation unilatérale ». Il est certain que le projet permanent de génocide, qui est contenu dans le bombardement nucléaire le plus « petit », mérite de nos jours d’être « criminalisé » ; ce qui devient possible surtout si cette « capacité » est devenue stratégiquement nulle. Cela n’empêchera pas, au contraire, de continuer à chercher la limitation ou l’interdiction des autres arsenaux modernes micro-génocidaires, qui sont, eux, réellement utilisés en guerre urbaine.
(1) Hans Blix, « Introduction », p. 9.
(2) Sauf p. 108 à 112, « Nécessité d’un réexamen et d’une révision des doctrines nucléaires » où on lira une brève synthèse sur « la dissuasion nucléaire » ; puis un paragraphe sur « l’emploi en premier : attaque de préemption et attaque préventive » et une mise au point précise sur « l’État de préparation opérationnelle ».