Le colonel Charles Ailleret (1907-1968), ancien élève de Polytechnique, est, au moment où il écrit ces lignes, à l'été 1955, commandant des armes spéciales de l’Armée de terre.
Arme biologique et désarmement (extrait, août-septembre 1955)
La tradition veut qu’une étude sur la guerre biologique, commence par un historique détaillé de cette forme d’opérations depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours. On y relate, entre autres, l’emploi, qu’aurait fait le général anglais Amherst, gouverneur de la Nouvelle-Écosse, de couvertures enduites de virus de la petite vérole, distribuées à des tribus indiennes ainsi que le badigeonnage des naseaux des chevaux alliés en 1918 par des saboteurs allemands, employant des cultures de bacilles de la morve, sans d’ailleurs qu’il apparaisse que ces tentatives aient eu des résultats efficaces. On insiste sur les essais, plus récents et plus scientifiques à la fois, effectués en Chine par les Japonais, essais d’ailleurs sans conséquences appréciables, mais qui ont donné lieu au spectaculaire procès de Khabarovsk. On rappelle maintenant les accusations lancées par les Chinois contre les Américains d’avoir utilisé en Corée des agents biologiques sous des formes qui, si elles étaient exactes, auraient été bien enfantines.
Ce long historique, lorsqu’il est complet, rappelle étrangement l’anecdote contée par de Pierrefeu dans son livre G.Q.G. secteur 1. Il y expose comment, affecté comme sous-lieutenant en 1915 au Grand quartier général, pour y être chargé de la rédaction du communiqué, il compose son premier bulletin. Ayant reçu des armées tous les comptes rendus de la nuit précédente, il essaye à grand-peine de rassembler en une synthèse les nombreux incidents locaux, coups de main, bombardements, patrouilles, dont font mention ces rapports. Lorsqu’après des heures d’effort il est enfin parvenu à comprimer le tout en une vingtaine de lignes, il se rend chez le général de Castelnau, major-général des Armées du Nord et de l’Est et lui présente son projet. Le général le parcourt, puis sans hésiter, prend son stylo, barre le texte en diagonale, écrit une ligne en dessous, signe et rend le papier à de Pierrefeu. Le papier portait « sur l’ensemble du front rien à signaler, signé Castelnau ».
Il en est tout à fait de même pour la guerre biologique dans le passé. Si elle a donné lieu à de nombreuses tentatives ou apparences de tentatives, celles-ci sont restées si maladroites ou si élémentaires qu’elles ne méritent guère d’être signalées autrement que comme preuve d’érudition. Bref, nous n’avons de la guerre biologique aucune expérience pratique valable. Il nous faut pour l’étudier partir de zéro en se servant des seules bases fournies par la science et les expériences de laboratoire. Il ne faut même pas penser, comme pour les autres armements, recourir aux essais de polygone ou de champ de tir : l’expérimentation en vraie grandeur, par le danger qu’elle implique, ne peut évidemment pas être envisagée, sauf pour l’étude de problèmes étroitement limités (1).
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