Dépositeur de la pensée intime du Maréchal et conservateur des précieux souvenirs accumulés à Thorey, l'auteur nous confie quelques souvenirs inédits.
Souvenirs de la Grande Guerre
Rabat se dispose à construire un grand hôtel de ville auprès des jardins qui descendent par degrés de la Balima vers les remparts. L’ancienne Résidence est ainsi appelée à disparaître. Avant que la pioche d’un mahallem n’en fasse éclater les frêles murailles, faisons un dernier pèlerinage vers cette demeure drapée de bougainvillées qui vit naître le Maroc moderne. J’y connus tous les acteurs du drame de la Grande Guerre. Gouraud venait de remporter de magnifiques victoires à Fez et à Taza. Il était, je crois, le plus jeune général de France et ses yeux avaient la limpidité des azurs sahariens. Henrys pacifiait la région de Meknès et sa campagne de Kenifra était tenue pour un modèle. C’est au premier étage, dans un bureau bien modeste, mais chatoyant de tapis, de selles, de brocarts que se réunirent, convoqués par télégraphe, les chefs de Région, le 30 juillet 1914. Le colonel Peltier commande Mazagran et Safi, il arrive le premier. Il répond au « Patron » : « Je puis garder la côte si Marrakech reste occupée, sinon, c’est cinq ou six bataillons qu’il me faudra ». Au colonel Gueydon de Dives qui commande à Casablanca, il lui est demandé si la Chaouïa peut être conservée avec ses dépôts et ses minimes effectifs actuels. « Oui, si Marrakech reste occupée, sinon il me faut tout ce qu’il y avait en 1908, c’est-à-dire de huit à dix bataillons. » Mais le général Brulard se charge de garder Marrakech avec trois bataillons seulement et Agadir avec trois compagnies. « Les Grands Caïds ne bougeront pas. Si Marrakech et Agadir sont évacuées, tout l’Atlas et le Haouz lâchent. Les grands caïds ne pouvant résister alors, au mouvement qui les entraînera tous jusqu’à la Chaouïa » (1).
Voici par l’ouest du Maroc la démonstration. Trois bataillons maintenus à Marrakech, à l’avant, et trois compagnies à Agadir font l’économie de forces de huit à dix bataillons supplémentaires pour protéger les ports de la côte : San, Mazagan, Casablanca.
À l’est, Gouraud et Henrys répondent que pour garder Meknès, Fez et la route d’étapes, il ne leur faut « presque rien si Kenifra et si le Tadla restent occupés parce qu’ils s’appuieront sur des populations soumises ». L’abandon de Kenifra, Fez et du Tadla exigerait la présence d’un corps expéditionnaire entre Fez et Meknès.
Il reste 80 % de l'article à lire