Le Japon semble sortir d’une réserve stratégique qui limitait son engagement international. Sa nouvelle politique africaine passe par l’Afrique de l’Est et la base de Djibouti.
Base militaire à Djibouti : le paradoxe de la puissance japonaise
The military base at Djibouti: a paradox of Japanese power
Japan seems to be shedding the strategic timidity which limited its international involvement. Its new Africa policy is evident in east Africa and the Djibouti base.
Pour les États-Unis, Djibouti est le centre de gravité de la lutte antiterroriste dans la Corne de l’Afrique et dans la péninsule Arabique. La France s’en sert comme base de projection pour ses forces et comme terrain d’aguerrissement. L’Union européenne y a posé ses valises pour lutter contre la piraterie. C’est au tour des militaires japonais d’affluer dans ce petit carrefour stratégique à l’entrée de la mer Rouge. En effet, pour la première fois depuis 1945, l’armée japonaise va installer une base à l’étranger. Cette base n’est pas permanente, mais temporaire, « le temps que durera la piraterie » entend-on sur place… Actuellement les Japonais sont accueillis par les Américains au Camp Lemonnier (accord d’assistance mutuelle), mais dès 2011, l’armée japonaise aura en permanence 150 personnes sur le territoire djiboutien, à l’instar des Français ou des Américains et elle paiera un loyer pour les 12 hectares alloués près de l’aéroport. La construction de cette base a débuté à l’été 2010 pour un montant de 40 millions de dollars. Elle abritera des logements, des bureaux et un hangar.
Comment interpréter ce bouleversement dans la posture stratégique japonaise ? En effet la Constitution de 1946 interdit l’usage et le déploiement de forces à l’étranger. Est-ce la volonté d’occuper une place plus conséquente sur la scène internationale et le désir de rééquilibrer ses relations avec son partenaire américain ? Est-ce une porte d’entrée vers l’Afrique alors que la Chine et les autres concurrents asiatiques s’y implantent ? Finalement le Japon qui, jusqu’à présent, menait ce qu’on a appelé une « diplomatie du chéquier » peut-il passer de l’influence à la puissance ? C’est à ces interrogations que la réflexion qui suit tentera de répondre.
Une rupture dans sa posture stratégique
La projection des forces d’autodéfense (FAD) japonaises dans le golfe d’Aden peut prêter à débat lorsqu’on connaît les limites constitutionnelles du pays. En effet, le Japon a adopté après la Seconde Guerre mondiale une « Constitution Pacifiste » célèbre pour son article 9 interprété comme bannissant l’utilisation de la force armée dans la défense des intérêts nationaux et le maintien d’une armée : « Le peuple japonais renonce à jamais à la guerre en tant que droit souverain de la nation ou à l’usage de la force comme moyen de règlement des conflits internationaux. (…) Il ne sera jamais maintenu de forces de terre, de mer et de l’air, ainsi que tout autre potentiel de guerre ». La Constitution ne reconnaît pas non plus le droit de belligérance au sens de l’article 51 de la charte des Nations unies. Pourtant à la suite de la guerre de Corée (50-53) et de la guerre froide, le Japon s’est doté de forces d’autodéfense (FAD) aujourd’hui parmi les armées les plus développées (5e rang mondial) et le tropisme maritime de l’archipel fait de sa Marine l’une des meilleures. Mais pour beaucoup de Japonais cette clause est un obstacle aux ambitions internationales de Tokyo notamment pour sa participation aux opérations de maintien de la paix. Aussi certaines évolutions comme la transformation fin 2006 de l’Agence de défense en ministère lui permettant ainsi de faire des lois, des arrêtés et d’avoir un budget traduit la volonté du pays de se « normaliser ». Dès 2003 avec la guerre en Irak, les Japonais ont modifié leur constitution afin de pouvoir déployer des troupes dans le cadre d’opérations de reconstruction ou d’aide humanitaire ou de s’associer à des activités dites de police internationale. Ainsi, la Constitution ne s’oppose pas à la présence des FAD à l’étranger ; l’une des conditions préalables est la requête du pays concerné et que leurs activités ne les conduisent pas à l’usage de la force.
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