Cette réflexion sur la future implantation des organes centraux de la Défense à Balard pose la question de la vulnérabilité de toute concentration fonctionnelle.
Le Pentagone à la française
The French Pentagon
This study on the proposed establishment of the central defence organs at Balard raises the question of the vulnerability of functional centralization.
La décision a été prise de regrouper l’ensemble des états-majors et certains des services du ministère de la Défense sur un seul et même site, connu de longue date sous l’appellation de « Pentagone à la française ». Certes, on peut s’étonner du choix de ces termes, visant à recopier le modèle américain, dont il nous arrive si souvent de critiquer les méthodes et les décisions, mais l’affaire est ancienne et connue de longue date sous cette dénomination initiale.
C’est en effet en 1986, en début d’année, que le ministre de la Défense de l’époque, un des grands hommes du pétrole et de l’atome, a pu évoquer, pour la première fois, et sous ce baptême, l’idée de regrouper toutes les instances dirigeantes de l’appareil militaire en un seul et même lieu. Vingt-cinq ans, un quart de siècle ! Nous sommes longs à nous décider et dans cet intervalle de temps bien des choses ont changé, au point que l’on est en droit de se demander si la décision actuelle est aussi opportune qu’elle l’aurait été à une époque antérieure et désormais très lointaine.
Certes, le parc immobilier de la Défense est ancien et sans doute assez mal adapté aux conditions actuelles de confort, de rentabilité et d’efficacité, même si l’Histoire, pourrait, à elle seule, justifier le maintien dans les lieux. Mais ceux qui ont actuellement la responsabilité de conduire ce projet à son terme en 2014 ont, bien sûr, toutes les raisons de justifier le bien-fondé de la décision, de se persuader et de tenter de convaincre qu’il y a là, dans cette perspective, une remise à jour indispensable, une rénovation des conditions de travail, de l’habitat, du confort, de l’efficacité de l’appareil destiné à concevoir, gérer et conduire l’institution militaire nationale. Ils ont tout naturellement tendance à prétendre qu’il y a là source d’économie, en raison de l’efficacité accrue par la concentration des moyens et des talents et, bien sûr, par la revente des installations anciennes qui compenserait, et au-delà, les coûts d’acquisition du nouveau dispositif immobilier.
À ce titre, et dans de telles conditions, on peut s’étonner que ce coût ne soit pas mieux porté à la connaissance du grand public, d’autant que l’incertitude demeure sur la valeur de l’ancien domaine et sur l’origine, la nationalité, la religion, voire l’honnêteté des acquéreurs éventuels. Pour simplifier, il est manifeste et normal que ce soit au budget de la Défense qu’il appartienne de fournir les sommes requises pour cette opération immobilière d’envergure. En contrepartie, sommes-nous assurés que c’est bien à ce même budget que reviendront les sommes récupérées sur l’ancien patrimoine ?
En tout état de cause, c’est là l’une des deux raisons, celle de la gestion des deniers de l’État et celle de la sécurité des lieux, qui peut conduire une partie du public à s’interroger sur les ressources effectives des budgets annuels de la Défense mais aussi sur la vulnérabilité des lieux, dès lors que l’on veut bien tenir compte de l’appréciation de situation et de son corollaire, l’évaluation de la menace.
Sur le fait des budgets annuels de la Défense, il serait déraisonnable de ne pas vouloir tenir compte de la gravité de la crise économique actuelle, de l’état des finances de notre pays, de l’importance inquiétante de la dette publique qui pourrait approcher à court terme les 1 800 milliard d’euros, somme considérable dont il faudra bien prendre en compte les conséquences, à savoir le poids du service annuel de cette dette et l’impérieuse nécessité d’en réduire l’ampleur.
Sur ce point des ressources du département de la Défense, il est très vraisemblable que les perspectives de l’actuelle loi de programmation militaire, récemment adoptée sans guère de réticences, seront difficiles à mettre en œuvre, tant est grave et préoccupant l’état de nos finances publiques, dont les budgets de l’année 2011 et des suivantes porteront à coup sûr les stigmates dans un très proche avenir. Dans ces conditions, il faut bien admettre que les militaires, et non les personnalités d’origines diverses qui peuvent avoir à traiter des affaires de la Défense, sont portés à croire que dans des circonstances aussi précaires, il est indispensable de réserver, en toute priorité, les crédits effectivement disponibles pour doter en moyens opérationnels nos Armées de terre, de mer, de l’air et la Gendarmerie. Il leur faut des armes et des équipements, des véhicules, des navires, des avions, des hélicoptères pour assurer la sécurité du territoire national et, très souvent, celle de pays étrangers, soumis à des périls qui ne peuvent être conjurés que par les forces armées de nations de capacité militaire reconnue, aptes à conduire des actions de force hors de nos frontières.
Plus grave encore pourrait être la question de sécurité, c’est-à-dire celle qui concerne la vulnérabilité de ce qui pourrait être considéré comme un objectif, non pas seulement par des pays étrangers, ce qui est plus rare actuellement, mais par des éléments incontrôlables, en tout cas incontrôlés, relevant de tel ou tel de ces pays par leur origine ethnique ou leur appartenance religieuse, mais autonomes au point d’accepter individuellement de mourir pour tuer. Il s’agit là d’une déviance de ce que l’on a pu connaître, au travers des siècles, dans ce qui s’est toujours appelé le terrorisme, mais avec cette particularité nouvelle et récente d’admettre délibérément la mort pour tuer l’autre et détruire ses biens.
Même sans entrer dans les dédales de l’analyse de la menace, il est certain que nous sommes, nous ou d’autres, devenus une cible pour ceux qui nous considèrent comme des adversaires qu’il convient de réduire ou d’éliminer, alors que les actions destructives et suicidaires actuelles ne constituent que les prémisses de ce qui pourrait être une nouvelle forme de guerre.
Dans cette situation d’incertitude, de précarité, il est certain qu’ici, en France, bien des édifices, bien des constructions, bien des lieux publics peuvent constituer un objectif pour des hommes résolus à disparaître pour détruire, apeurer ou tuer ceux qu’ils considèrent comme des ennemis.
En ce qui nous concerne, malgré notre prudente réserve, notre abstentionnisme, notre critique acerbe des actions de nos partenaires de fait, il y a un risque appréciable de prise à parti, sur notre propre territoire, d’objectifs spectaculaires. La Tour Eiffel en est un, comme le Trocadéro, les Invalides, Notre-Dame de Paris ou l’Élysée. Mais il y a aussi, dans une perspective plus proche de l’action militaire, la tour DGA et, dans le même espace limité de Balard, la future tour concentrant tous les états-majors, tous les centres de décision, tous les moyens de mise en œuvre de nos forces armées. Des deux tours du World Trade Center, symboles du monde des affaires et de la finance, il n’est rien resté d’autre qu’un amoncellement de gravats. Qu’en serait-il, dans des conditions analogues, des deux tours de Balard ?
Regardons les choses froidement. Dans la diversité des risques qui peuvent nous concerner, il y a tout et son contraire. Chacun peut arbitrer dans le sens qui lui plaît ou lui convient. Les faits demeurent. Devant le type de menace auquel nous sommes confrontés il y a deux procédés, deux attitudes, deux comportements envisageables : la concentration ou la dispersion. Le tropisme centralisateur français qui est une constante, et dans certaines circonstances une tare, conduit à donner, à chaque fois, la préférence à la concentration.
Je demeure un partisan convaincu de la dispersion, surtout à l’heure de l’informatique de pointe, de l’Internet, de la visioconférence et d’autres moyens techniques élaborés. ♦