Défense en Europe - Développement actuel de la défense européenne
Après un été fort en annonces politiques, en projets particuliers et en débats sur l’avenir des forces armées particulièrement vifs, le paysage européen de la défense a profondément changé ; mais ces changements n’ont pas simplifié la situation. Au lieu de renforcer l’Europe de la défense, le continent est confronté à des tendances contradictoires, tant stratégique, politique, militaire qu’opérationnel. Par conséquent la confusion règne au sein de la classe politique ainsi que dans les rédactions. Les principaux journaux et blogs européens en fournissent la preuve.
L’Afghanistan, sur le plan stratégique et politique, démontre à quel point les Européens manquent de coordination. Au lieu de développer des stratégies communes et de fédérer leurs forces au sein d’un ensemble cohérent, les gouvernements respectifs préfèrent poursuivre des politiques dictées par des priorités strictement nationales. Par conséquent, la pression de la rue force de plus en plus la main des décideurs. Après les Pays-Bas, ayant commencé le retrait de leur contingent début août, les Britanniques ont décidé à leur tour de quitter la province de Helmand. Cette décision a été influencée par le fait que les 10 % du contingent stationné dans cette province ont subi plus d’un tiers des pertes britanniques. Pour 2011, Whitehall a annoncé des réductions supplémentaires, voire le retrait potentiel du pays. Rappelons-nous que le conflit en Afghanistan a fortement pesé sur les élections récentes dans ces deux pays et a ainsi contribué à la défaite des gouvernements au pouvoir.
À l’opposé de ces décisions, Berlin a opté pour le renforcement massif de son contingent en réorganisant ses effectifs. L’ancienne structure datant des années 2000, optimisée pour des missions de stabilisation et de reconstruction, a laissé sa place à un concept plus musclé, fondé sur la mise en place de deux bataillons d’appui et de formation. Ces bataillons, issus de l’ancienne force de réaction rapide sont à la fois capables de fournir des OMLT, de former, d’encadrer et de renforcer des unités afghanes sur le terrain ainsi que de mener des missions de combat classiques. Équipés par des VBCI de type Marder, ils sont également appuyés par des drones de type Héron et des obusiers blindés de type PzH 2000. Venant de décider le retrait des chasseurs-bombardiers de type Tornado, Berlin étudie actuellement la mise en place d’un troisième bataillon en réponse à une demande faite par le général Petraeus. Bien que décidé à transférer la responsabilité pour la sécurité dans certaines provinces aux autorités afghanes à partir de l’année prochaine, Berlin souhaite continuer à faire face aux opérations des taliban dans le Nord du pays.
Face à ce mélange de décisions nationales, les structures européennes n’ont pas su forger l’entente politique nécessaire à la mise en place d’une action commune. La présidence du Conseil de l’UE, articulée en grande partie sur la coopération étroite entre les trois pays qui se succèdent, a été affaiblie par une Espagne occupée par la crise économique, une Belgique sans gouvernement et une Hongrie dont le gouvernement est très critique à l’égard de l’Europe. Quant à Herman van Rompuy, le premier président du Conseil européen et Catherine Ashton, haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, les journaux européens constatent unanimement leur modeste présence pendant le premier tiers de leurs mandats respectifs.
Pendant ce temps, la réorganisation des forces armées des pays membres continue à faire la « Une ». C’est notamment le cas de l’Allemagne. Après des années d’hésitations tant politiques que militaires, le ministre Karl-Theodor zu Guttenberg continue à poursuivre la réforme la plus profonde jamais effectuée depuis la création de la Bundeswehr en 1955. Le service national obligatoire, longtemps considéré comme la vache sacrée des partis conservateurs en RFA, vient d’être réduit à six mois et va être suspendu à partir du 1er janvier 2011. Une large partie du ministère de la Défense est censée quitter Bonn pour Berlin, permettant la suppression de nombreux postes. Dans ce contexte, après avoir discuté de la diminution des effectifs de la Bundeswehr à 165 000, le gouvernement a finalement opté pour un format de 200 000 militaires, tout en augmentant la capacité de projection et d’intervention hors métropole. La projection et les transports logistiques sont d’ailleurs au centre des réflexions stratégiques européennes. Depuis la fin des conflits en ex-Yougoslavie, la majorité des missions humanitaires, de stabilisation mais également d’intervention se sont déroulées hors des rayons d’action habituels.
À la suite du tremblement de terre en Haïti, le besoin d’augmenter la capacité de projection européenne s’est une fois de plus fait ressentir après la catastrophe naturelle qui a eu lieu au Pakistan. Comme en janvier 2010, la réponse européenne a été affaiblie par un manque persistant de moyens de transport stratégique. Ce manque était encore plus flagrant, car le Pakistan, au contraire d’Haïti, disposait d’installations aériennes et maritimes non touchées par la catastrophe. Ces déconvenues sont la preuve que la mise en place d’un commandement européen de transport aérien (EATC) ne correspond pas seulement à un besoin opérationnel urgent, mais serait surtout un grand pas en avant pour la défense européenne commune.
À première vue, ce commandement, situé à Eindhoven aux Pays-Bas n’a rien d’extraordinaire. Il s’agit d’un état-major multinational, similaire à de nombreuses institutions européennes. De plus, il n’est pas le seul état-major allié chargé des questions de transport aérien. Le Salis (solution intérimaire de transport aérien stratégique) à Leipzig, une GmbH civile, équipée des An-124 et le SAC (Capacité de transport aérien stratégique) un escadron de transport multinational de l’Otan disposant de trois C17 et basée à Papa AFB en Hongrie, ont pour mission de fournir ce type de prestations et peuvent être employés par l’UE si besoin est. Malgré cela ce quartier général représente une véritable révolution. Pour la première fois, des États européens ont décidé de supprimer des QG nationaux et de coordonner un aspect clé de leur défense nationale dans un cadre multinational. Cette décision va permettre des synergies, diminuer les coûts et augmenter la flexibilité des participants. Elle liera étroitement la politique de défense des pays ayant subordonné leurs C130, C160 et, dans l’avenir, leurs A400M à un emploi sous l’égide de l’EATC à Eindhoven.
Ce rapprochement entre les participants va être renforcé par une mise en commun au niveau européen du soutien et de la logistique des appareils de transport. Cette intégration quasi totale de tout un domaine militaire a des conséquences directes sur le fonctionnement des armées nationales. Elle permet une organisation plus flexible des missions de transport aérien grâce à un ensemble plus important d’appareils, mais elle complique les missions strictement nationales en les soumettant à l’approbation des partenaires. Ce quartier général pourra servir de modèle à d’autres projets européens et sera ainsi le premier élément d’une future structure de type Communauté européenne de défense. ♦