Le Meilleur des ambassadeurs – théorie et pratique de la diplomatie navale
Le Meilleur des ambassadeurs – théorie et pratique de la diplomatie navale
L’ordre mondial qui a émergé de l’écroulement de l’Union soviétique est souvent perçu en Suède comme monopolaire. D’un point de vue français, il est plutôt compris comme la possibilité d’une multiplicité de pôles d’influence. La diplomatie et la force militaire sont deux moyens classiques d’y jouer un rôle. Quelque part entre les deux se trouve la diplomatie navale. Ce sujet a été traité par le professeur Hervé Coutau-Bégarie, entre autres directeur du cours de stratégie au Collège interarmées de défense et membre de l’Académie royale des sciences navales de Suède, dans une œuvre récente Le Meilleur des ambassadeurs – théorie et pratique de la diplomatie navale.
Bien que les puissances maritimes du monde aient utilisé leurs navires de guerre depuis des milliers d’années, il est frappant de constater que la question de l’importance de la diplomatie navale n’a été théorisée qu’assez tard. Ce travail a été fait pendant la guerre froide en 1971 par l’Anglais Sir James Cable dans Gunboat Diplomacy. Dans ce livre classique, quatre catégories sont formulées concernant la diplomatie navale ; la force définitive ou décisive, la force ciblée, la force catalytique et la force expressive. L’époque elle-même est intéressante parce que, selon M. Coutau-Bégarie, l’art de transmettre des notes diplomatiques difficiles par la présence de navires de guerre était négligé pendant la guerre froide. Aujourd’hui, alors que la division claire du monde en deux superpuissances n’est plus qu’un souvenir lointain, cette méthode toujours utile doit nécessairement être réexaminée.
M. Coutau-Bégarie propose une base théorique solide dans laquelle les idées de Sir James sont développées. Le fond de la diplomatie navale est l’interaction entre la puissance et l’influence. Il s’agit donc de convaincre et persuader, comme dans tout travail diplomatique, mais la spécificité de la diplomatie navale est qu’elle est toujours prête à utiliser la force ou à menacer de le faire pour étayer ses arguments. M. Coutau-Bégarie concrétise le travail de Sir James. Il clarifie la différence entre la diplomatie permanente et celle du temps de crise et propose trois couples d’analyse : prévention-réaction, coopération-coercition, national-multinational. Sa définition est, par conséquent, plus large que celle de Sir James. En outre, il traite de l’utilisation des types d’unités navales comme outils diplomatiques et il souligne l’importance des moyens amphibies afin de projeter la puissance navale à terre.
Ensuite, un examen approfondi illustre comment un grand nombre d’objectifs diplomatiques français à travers le monde a pu être réalisé par l’utilisation des moyens navals. Cette partie est illustrée par nombre d’interventions humanitaires, d’évacuations de ressortissants, par exemple au Liban en 1982 et en 2006 ou au Liberia en 1990 et 2003, la protection des représentations françaises au Zaïre en 1991 et au Liban en 2000 ainsi que l’interposition dans une crise intérieure, comme celles des Comores en 1989 et en 1995. Ces actions françaises couronnées de succès sont ensuite comparées avec les opérations équivalentes soviétiques, américaines et asiatiques, dont les résultats sont tout autant positifs. La conclusion est que la diplomatie navale fonctionne bien et qu’elle possède des domaines spécifiques d’action.
Arrivé à cette conclusion, M. Coutau-Bégarie fait observer que la coopération militaire et diplomatique de l’UE n’a pas évolué aussi rapidement que sa coopération politique et économique. Pour des raisons juridiques, des problèmes de motivation ou même des questions de loyauté, les différents États membres n’ont pas de capacité satisfaisante pour résoudre les problèmes diplomatiques à l’échelle de l’Union. La fragmentation diplomatique explique que toutes les forces de l’UE ne soient pas disponibles simultanément et que des retards inutiles se produisent quand il est temps d’agir. Une manière raisonnable d’avancer est donc d’améliorer la coopération diplomatique et de développer un plan conjoint pour la coopération navale.
À la fin de l’ouvrage, M. Coutau-Bégarie réfléchit à la puissance intrinsèque et spécifique de la diplomatie navale et à l’avantage que la France peut tirer dans ce domaine de ses forces navales. À la lumière de ce raisonnement, il se demande s’il est sensé que la flotte française ait atteint le niveau historiquement bas qui est le sien aujourd’hui.
Le Meilleur des ambassadeurs est un livre intéressant, peut-être surtout d’un point de vue suédois. Il reprend et renouvelle les théories d’une utilisation classique des forces navales, utilisation qui, ces dernières années, est devenue une partie naturelle et transparente des activités quotidiennes de la Marine suédoise. Au lieu de se préparer principalement à la menace d’une superpuissance à travers la Baltique, la flotte et le Corps amphibie sont aujourd’hui utilisés pour garantir les intérêts suédois, par exemple en surveillant l’approche sud du canal de Suez.
Le livre précise l’avantage qu’une nation peut tirer de ses forces navales. Il décrit leur souplesse inhérente, y compris en temps de paix, caractéristique qui distingue les Marines des Armées de terre et de l’air. Pour cette raison, ce livre peut aussi être utile à ceux qui n’avaient pas encore perçu tous les avantages que la dimension maritime apporte. En outre, le livre est écrit dans une langue élégante tout en restant claire et lisible pour un lecteur étranger.
Pour autant, dans l’une des nombreuses questions traitées par M. Coutau-Bégarie, on arrive à une conclusion discutable, en tout cas d’un point de vue pratique. Dans le cadre de la description de résolutions de différentes crises par des forces navales, l’auteur traite également du commandement de ces forces. Il note qu’à certaines reprises, plusieurs forces navales sous différents commandements ont été utilisées en parallèle dans la même opération : par exemple pendant la guerre du Golfe en 1991 et au cours d’opérations au large de l’ex-Yougoslavie dans les années 90. Aujourd’hui encore, nous voyons des exemples de ce type d’organisation au large de la Corne de l’Afrique. Les unités de l’UE et de l’Otan y résolvent les mêmes tâches, en même temps. En outre, au même endroit, on trouve aussi plusieurs missions nationales, y compris des actions indiennes, russes et chinoises. Cette division du commandement des forces est considérée par M. Coutau-Bégarie comme un mal nécessaire : sans un accord politique, un commandement militaire intégré n’est pas possible. Certes, mais les prérogatives des unités militaires sont déjà suffisamment mal définies sur le terrain quand celles-ci se trouvent placées sous l’autorité du même chef. C’est pourquoi la coordination par l’autorité est certainement plus souhaitable que la coordination par la collaboration. Cela s’applique également à la mer, même si cela se traduit par un leadership américain systématique qui n’est pas souhaitable.
Toute personne qui lira Le meilleur des ambassadeurs aura une idée claire de la façon dont des forces navales peuvent être utilisées sur toute l’étendue du spectre des conflits. Mais au-delà, le lecteur comprendra mieux certaines des questions diplomatiques françaises les plus fondamentales. Les deux leçons sont aussi importantes l’une que l’autre. ♦