Editorial
Éditorial
Nous vivons des temps stratégiques sans ressemblance et sans repères. Et nous affectons d’être déconcertés par les mouvements du monde, crise financière, printemps arabe, émergences en tous genres et diversification de l’expression de la puissance. Aucun de ces phénomènes qui remettent en cause ce que nous pensions être l’ordre établi ne devrait nous prendre au dépourvu puisque tous ont été annoncés par des voix autorisées depuis des lustres. Ce que nous vivons en fait c’est une vraie crise de la planification stratégique, voire une crise de la puissance, non de la puissance relative comme on le disait encore il y a deux ans, mais bien de l’impuissance collective. Car nous ne savons plus anticiper les conséquences d’événements pourtant annoncés comme inéluctables. Nous ne savons pas adopter à l’égard de leurs effets une posture résolue de sauvegarde de nos intérêts communs et de consolidation de notre projet collectif, qu’il soit national ou européen.
Nous vivons sans doute une période de transition entre deux ordres, celui de Yalta et de l’idéal de gouvernance mondiale selon le mode occidental et un autre système sans doute moins ordonné, moins universel, qui tarde à se stabiliser. Faudra-t-il attendre pour qu’il puisse s’établir que la planète achève de se remplir des 9 milliards d’habitants qu’elle devrait porter à mi-siècle ? Si tel était le cas, nous aurions encore une longue période intermédiaire d’incertitude devant nous. Dans la transition actuelle, les acteurs ne sont plus seulement ou plus d’abord les États dans leur diversité et leur prolifération, les institutions internationales ou les grands groupes multinationaux dans leur complexité. L’initiative semble leur avoir été ravie par de nouveaux venus, les marchés, les médias, les réseaux surgissant d’opinions voire les prédateurs à l’affût qui exploitent la fragilité d’un système mondial en expansion démographique, sous contrainte écologique et en pleine reconfiguration économique.
S’il y a une « surprise stratégique » aujourd’hui pour reprendre cette formule qui a fait fortune en 2008, c’est bien que le jour et l’heure des mouvements de forte amplitude restent imprévisibles, sauf bien sûr pour les tenants de la théorie du complot. La conflictualité du monde, encadrée tant bien que mal par l’ordre de Yalta, échappe désormais aux régulateurs militaires, technologiques et juridiques habituels et les tensions, conflits, violences dont l’intensité rappelle celle des guerres d’hier se développent dans des domaines qui appellent des réponses nouvelles. On le voit aujourd’hui en Afrique du Nord où les appels irrépressibles aux libertés publiques, à la dignité et à la prospérité partagées sont des moteurs du changement rapide que guette le chaos. Ce raz de marée va se propager. On le voit dans les vulnérabilités cybernétiques où de nouveaux fronts s’ouvrent. On le voit dans les rééquilibrages de la planète avec ses nouveaux acteurs, entreprenants comme l’Union indienne ou paralysés comme l’Union européenne. La RDN tente d’explorer tous ces phénomènes et de vous les présenter ; ce numéro d’avril s’ouvre sur l’importance de l’exercice de la fonction politique et l’exigence que comporte la responsabilité de défense nationale. ♦