Pour dépasser les insuffisances constatées des avions supersoniques polyvalents et des drones, l’auteur, qui est un spécialiste des questions de stratégie aérienne, propose de développer un avion européen d’appui tactique, agile et endurant dont il esquisse les caractéristiques.
Entre avions supersoniques et drones : un avion d’appui agile
Between supersonic aircraft and drones: an agile close-support aircraft
The author is a specialist in the field of strategic airpower. He postulates the development of an agile, robust European close support aircraft to overcome some of the operational drawbacks of multi-role supersonic aircraft and drones, and outlines its possible design characteristics.
Insuffisances des avions supersoniques « polyvalents »
Les avions polyvalents (Rafale, Eurofighter, Gripen…) conçus, en général, pour s’opposer aux Soviétiques ont d’excellentes aptitudes pour les opérations de police du ciel et pour le combat tournoyant à haute altitude, un combat rendu obsolète par les performances des missiles air-air modernes. Ils ont, en outre, des capacités satisfaisantes de pénétration à haute et basse altitude. Encore faut-il noter que leur armement « sous les plans » leur enlève toute furtivité, au moins dans la phase « aller » de leurs missions ; leur rayon d’action et leur endurance au dessus de troupes amies sont très limités. Il y a deux raisons essentielles à cela : leurs réacteurs sont inadaptés au vol lent à basse altitude et, encore une fois, leur armement externe entraîne une traînée importante. En fait, ces avions ne peuvent voler loin et longtemps que grâce à de multiples ravitaillements en vol, possibles uniquement en cas de supériorité aérienne absolue. Enfin leur coût d’investissement et surtout de fonctionnement est considérable. Une mission de cinq heures d’un Rafale en Afghanistan nécessite, par exemple, 20 tonnes de carburant ! Toutes ces raisons font que ces avions sont mal adaptés à l’appui de troupes terrestres en opérations, surtout quand les adversaires, très dispersés, n’offrent pas de grosses cibles à traiter. Ces avions ne sont pas véritablement polyvalents. Cela explique aussi pourquoi les avions de combat construits en Europe depuis une cinquantaine d’années, tous supersoniques, ne volent jamais en supersonique, tout au moins en opérations.
Insuffisances des drones
Les drones actuellement en service – et surtout ceux en développement – ne souffrent pas des inconvénients des avions supersoniques. En mission d’appui au sol, ils sont extraordinairement précieux en matière de renseignements en temps réel, sur les positions adverses, et ils peuvent maintenant fournir un appui feu puissant et précis. Ils sont, en outre, relativement peu coûteux et présentent l’avantage majeur de ne pas mettre en jeu la vie des pilotes. Toutefois, il serait très risqué de miser exclusivement sur leurs capacités.
En effet, les pilotes de drones, confortablement installés à des milliers de kilomètres des zones de combat, ne peuvent « sentir » la situation comme un pilote d’avion qui connaît les lieux où il intervient, qui a l’habitude de rencontrer les troupes qu’il appuie et qui sait s’adapter aux données du moment face à un ennemi réel. Il est clair qu’un pilote de drone a moins de chances de s’opposer à un ordre inadapté qu’un pilote qui voit de ses propres yeux. Si les autorités locales demandent la destruction d’un camion d’essence tombé aux mains de l’adversaire, il est à craindre qu’un pilote de drone, tout comme un pilote d’avion supersonique, ne verra pas que les silhouettes qui entourent le camion sont des enfants. Les tirs de Predator en Afghanistan et au Pakistan se sont peut-être révélés efficaces à court terme, mais de nombreuses « bavures » sont manifestement à déplorer et le bilan global de ces actions ne sera peut-être pas positif en raison de l’impact très négatif de ces tirs sur les populations qu’il importe pourtant de rallier.
De plus l’usage des drones nécessite des transmissions de données multiples, toutes vitales pour la mission. La liaison descendante (drone vers opérateur) nécessite un gros débit qui la rend techniquement délicate et vulnérable. Quand le conflit est largement dissymétrique, ce n’est pas un problème important : les taliban, par exemple, n’ont aucun moyen de brouiller ou d’interrompre ces transmissions. Mais les responsables politiques et militaires européens se doivent d’envisager des conflits mettant en œuvre des puissances plus avancées techniquement, qu’elles participent directement au conflit ou non. Il est même nécessaire de penser à la disponibilité et à la vulnérabilité des satellites sans lesquels les drones ne peuvent généralement pas fonctionner.
Il est probable enfin que pendant de nombreuses années encore les drones ne seront pas autorisés à voler dans le même espace aérien que les avions commerciaux. Dans ces conditions, la mise en place de ces drones sur un territoire lointain ne peut être aussi rapide que celle d’un avion piloté à très long rayon d’action.
L’avion d’appui agile
L’avion d’appui américain A10, bien qu’il n’ait pas été initialement conçu pour ce type d’opérations, est de loin l’avion le plus efficace actuellement dans le conflit afghan (1).
L’Europe est tout à fait capable de développer un appareil concurrent modernisé aux caractéristiques suivantes.
Il serait assez largement furtif à l’aller comme au retour de mission, grâce en particulier à l’emport de tous ses armements en interne. Il aurait une endurance sur zone de plus de cinq heures sans ravitaillement en vol, bénéficierait d’une grande manœuvrabilité à basse vitesse, profiterait de technologies et conceptions peu coûteuses car proches des solutions civiles pour la cellule et les moteurs dont il réutiliserait de nombreux éléments. Il emporterait des senseurs et des équipements de tir équivalents à ceux des drones les plus modernes, serait intégré dans le C4I actuel et prévoirait dès sa conception l’installation d’un dispositif de contre-mesures de qualité pour assurer sa protection contre les missiles sol-air rustiques (manpads ou non). On peut d’ailleurs noter que ce besoin de protection est tout aussi valable pour les avions supersoniques et pour les drones, les missiles de conception moderne étant conçus pour ne pas être trompés par les leurres infrarouges. Il coûterait en investissement, comme en fonctionnement, au moins quatre fois moins qu’un avion supersonique de type Rafale ou Eurofighter.
Un avion européen de ce type, répondant à des besoins opérationnels précis et adapté aux nécessités actuelles de réalisme budgétaire, aurait sans nul doute des perspectives d’exportation remarquables, avec toutes les conséquences favorables que l’on peut imaginer tant pour la balance commerciale européenne que pour l’activité de nos usines aéronautiques. En outre, cet avion d’appui agile contribuerait largement à la pérennité des Armées de l’air européennes. Comment, en effet, celles-ci pourraient-elles conserver leur rayonnement et leur efficacité si elles ne disposaient plus que de quelques dizaines d’appareils supersoniques ruineux et de drones pilotés à partir du sol ? ♦
(1) Un officier français détaché pour six mois dans une unité de A10 en Aghanistan a écrit récemment (Air Force Print News Today, Kandahar, 11 décembre 2010) : « Le A10 est un avion fantastique. Il vole beaucoup moins vite qu’un Mirage, mais la bonne chose est que l’on peut travailler plus bas et se sentir plus proche des gars au sol. Il est important pour nous d’être aussi bien connecté avec les forces au sol ».